Il nous faut partir sans perdre de temps, le retour risque d'être éreintant et j'ai hâte d'en finir.
Avec une infinie précaution, je décroche la corde qui retient Cérès à l'arbre et j'engage Arkos à reprendre le chemin en direction de notre dernier campement. J'exerce alors une pression progressive sur la bride du géant noir afin qu'il se mette en marche à son tour. Sa première réaction est de vouloir fuir mais très vite, l'animal prend conscience de ses membres entravés et consent à nous suivre en renâclant.
La journée est déjà bien avancée et j'aimerais avoir quitté cet endroit avant la tombée de la nuit. Notre affrontement a fait fuir le reste du troupeau qui s'est réfugié plus haut dans la gorge et les chevaux nous regardent de loin entraîner l'étalon sous la contrainte. C'est le moment que choisit Cérès pour pousser un terrible hennissement de frustration qui résonne dans toute la vallée, provoquant la réponse de quelques membres du groupe. Malgré ma détermination sans faille, je suis pris d'un léger remord à l'idée de les priver d'un chef aussi exceptionnel.
Je me demande lequel des jeunes mâles aperçus plus tôt dans la matinée prendra désormais la tête du clan...
Les entraves et la cécité de Cérès nous font avancer à un rythme bien trop lent à mon goût, malheureusement je n'ai pas d'autre choix que de m'en accommoder. Nous faisons un arrêt rapide pour récupérer mes effets et le gibier toujours suspendus à l'abri des prédateurs.
Pour ma part, l'idée du trajet retour en cette - charmante - compagnie me noue l'estomac. Je distribue donc l'intégralité des restes à Arkos qui dévore le tout en une fraction de seconde et même si je sais qu'il me faudra manger tôt ou tard, mon fidèle compagnon a bien mérité cette récompense !
Le trajet retour se poursuit en direction du défilé rocheux et je suis inquiet de me retrouver dans cet espace confiné avec un animal aussi dangereux. Je ne cesse de jeter des regards en arrière mais contre toute attente, le sol parsemé de cailloux déstabilise le nouveau membre de notre cortège qui avance à l'aveugle. Ce qui pour effet de nous ralentir davantage. Mais pour être tout à fait honnête, je préfère cela à la - plaisante - idée de me retrouver broyé entre un mur de pierres et un monstre endiablé. D'ailleurs, à le regarder ainsi marcher sur des œufs, il perd un peu de sa superbe et de son allure menaçante.
Lorsque nous dépassons la sortie du canyon je respire un peu mieux alors que mon prisonnier lui, paraît exténué d'avoir dû autant se concentrer pour ne pas trébucher.
Je choisis d'installer notre campement aux abords des marais parce que l'endroit regorge d'arbres et j'en choisis un bien enraciné auquel je pourrais attacher Cérès pour la nuit. Avant de l'y conduire je l'incite à se désaltérer dans le petit point d'eau à proximité mais l'animal orgueilleux se contente de battre furieusement l'eau d'un sabot en rejetant violemment la tête en arrière. Je renonce donc et l'arrime solidement à un tronc pendant que je m'éloigne de quelques mètres pour allumer un feu.
Maintenant que je relâche un peu la tension de cette journée éprouvante, mon appétit se réveille. Mais il m'est impossible de partir chasser. Je ne peux me résoudre à quitter Cérès. Même si pour l'heure il parait disposé à se tenir tranquille, l'étalon est imprévisible et je ne peux pas me permettre de le laisser s'échapper et anéantir tout ce que nous venons d'accomplir.
Fort heureusement, j'ai emporté ma fronde. Nous devrons maintenant être patients et nous contenter de ce qui nous passera sous la main.
Deux heures plus tard, je suis plus que satisfait. J'ai réussi à frapper deux perdreaux sauvages d'un très beau gabarit. Le premier nous a rassasié Arkos et moi. Et j'ai embroché le second pour le sécher et le fumer durant la nuit, il nous servira de réserve pour le reste du périple et je n'aurais plus besoin de chasser d'ici notre arrivée au château. À présent repus, la fatigue me rattrape mais je ne dors que d'un œil craignant de constater la disparition de Cérès à mon réveil.
Au lever du jour, nous reprenons la route tant bien que mal.
La Bête a retrouvé sa vigueur et rechigne à me suivre à travers les marais. Elle tire tantôt à gauche, tantôt à droite, tantôt en arrière de façon aléatoire, si bien que je ne sens bientôt plus mes bras et que je manque de me retrouver dans l'eau stagnante et poisseuse une demi-douzaine de fois.
- Maudite Bête ! -
Je vois le soleil poursuivre sa course au-dessus de nos têtes tandis que nous n'avons parcouru qu'un tiers du trajet prévu pour la journée. Mais les marais n'abritent que des roseaux et de maigres arbustes, soit absolument rien pour attacher Cérès. Il est donc inenvisageable de passer la nuit ici avec ce beau diable au bout d'une corde.
- Je risquerai d'y perdre un bras et le cheval par la même occasion ! -
Perdant patience, je décide de changer de tactique et d'envoyer Arkos au front. D'un sifflement je lui intime un ordre bien spécifique qu'il reconnait immédiatement. C'est à lui de jouer maintenant. Subtilement, il s'approche de Cérès par derrière et lui mordille le jarret à coup de crocs inoffensifs mais pour le moins efficaces avant de détaler ! L'étalon surpris décroche alors une puissante ruade qu'Arkos évite adroitement. La tactique est risquée mais elle a le mérite de forcer notre otage à se remettre au pas.
Nous passons encore une nuit et les deux suivantes de la même façon, Cérès fermement attaché et nous, mangeant du gibier séché et dormant par intermittence, veillant à tour de rôle sur le captif.
Les journées se succèdent et se ressemblent également, moi tirant sur la corde, le corps noué de courbatures et Arkos jappant et mordillant la Bête pour la forcer à avancer. Nous sommes exténués et Cérès qui n'a accepté de boire qu'une seule fois et n'a rien avalé de tout le voyage semble à bout de force lui aussi. C'est donc avec un immense soulagement que je vois se dessiner à l'horizon le mur d'enceinte de la Couronne.
Nous sommes aux lueurs du neuvième jour. Encore quelques heures de marche et nous serons enfin chez nous.
Malgré la raison pour laquelle je me suis engagé dans cette fichue mission, je ne suis pas peu fier de l'avoir menée à son terme en un temps record. Mais je ne peux que remercier intérieurement Rodric et Arkos qui m'ont permis cet exploit. C'est grâce à l'aide précieuse et persuasive de ce dernier et à la technique que mon frère a mis des jours à parfaire que j'ai réussi à capturer et ramener le démon noir aussi rapidement.
Nous atteignons les premières habitations alors que le soleil commence à descendre sur le royaume d'Elenie. Je n'ai jamais aimé me donner en spectacle mais accompagné de mon molosse et du colossal Garanas dont les sabots martèlent le pavé des ruelles, il est impensable de passer inaperçu. Je ne prends même pas la peine de rabattre mon capuchon sachant que chaque élenien me reconnait et sait ce qu'il en est. La rumeur de mon approche après le Rite de la Capture se répand alors comme une trainée de poudre et j'entends retentir les sept coups traditionnels de cloches annonçant le Retour du Prince.
Notre trio remonte maintenant les rues de la Citadelle la tête basse, fourbu. Et quand je croise quelques regards médusés je prends conscience du triste spectacle que nous devons offrir à nos sujets. Mes vêtements sont sales, déchirés et empestent le crottin ; mon bras blessé est couvert de sang séché et laisse apparaître une terrible cicatrice représentant fidèlement la mâchoire en croissant de lune de Cérès. Arkos paraît efflanqué et traîne la patte derrière l'étalon sauvage qui ne semble plus si terrible que cela muselé, les yeux bandés et les pieds liés. . .
C'est ainsi que nous nous présentons à la Couronne. Les premières portes de l'enceinte sont déjà ouvertes et la garde royale nous attend pour me présenter ses hommages. Mais à notre passage, ce n'est pas de la fierté que je lis dans les yeux de nos précieux soldats, mais bien de la peur. . .
Car chacun d'entre eux le reconnaît.
Lui, Cérès.
Le Garanas maudit qui a pris la vie de l'héritier du roi.
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Le Don d'Ana - Tome I - L'Apprentie Élue (En cours de rédaction)
FantasyLEUR DESTIN SE SONT CROISÉS MAIS ILS N'AURAIENT JAMAIS DÛ SE RETROUVER. "Demain, j'aurai dix-sept ans. Demain, la Cérémonie du Choix aura lieu. Dans mon monde, le jour de nos dix-sept ans, deux possibilités s'offrent à nous. On peut choisir l'Un...