Le Don d'Ana - Tome I - L'Apprentie Élue (En cours de rédaction)

Chapitre 72 - La Rencontre

À l'approche de notre équipage, les deux gardes demandent l'ouverture des portes d'une seule et même voix tonitruante. L'instant d'après, les lourds battants pivotent sur leurs gonds sans un bruit en dépit du poids démesuré qu'ils pèsent assurément.

Je suis désormais capable de reconnaitre l'œuvre des prédécesseurs de Léonce dans cet ouvrage de qualité.

Il fait maintenant nuit noire et c'est sous un splendide ciel étoilé que je franchis le mur d'enceinte qui délimite l'entrée de la Couronne pour la toute première fois.

Je n'ai jamais souhaité faire partie de ces privilégiés qui vivent ou travaillent à la cour, au service du roi Théobald. Mais je mentirais si je n'avouais pas ressentir une certaine curiosité pour ce qui se cache derrière ces remparts. Et surtout pour les animaux qui s'y trouvent, il va sans dire

Je dois pourtant me faire une raison, il est trop tard ce soir pour avoir un quelconque aperçu de l'écurie royale et des trésors qu'elle renferme. Mais je ne peux résister, tandis que nous avançons au pas dans l'allée illuminée de flambeaux qui mène au château, mon regard furète dans toutes les directions en quête d'un bâtiment qui pourrait ressembler de près ou de loin à ce que je cherche.

C'est peine perdue, nous sommes déjà rendus devant l'entrée de la bâtisse aux proportions vertigineuses.

La Maison des Apprentis n'est rien en comparaison de ce superbe édifice agrémenté de cinq tours qui culminent à différentes hauteurs. Les murs épais qui s'étendent sur plusieurs étages sont percés de centaines de fenêtres agrémentées de vitraux que je sais être en Filhor grâce aux dires de papa. Certaines possèdent même de petits balcons aux balustrades sculptées à même la pierre.

Je n'ose imaginer comment me repérer dans pareil dédale.

Le laquais nous presse de descendre de la voiture et mon champ de vision s'élargit. Je devine de jolis jardins entretenus au cordeau et bien plus loin, les contours d'autres bâtiments se profilent. Mais j'imagine que la Couronne s'étend sur un périmètre bien plus important que celui que l'obscurité ambiante me permet de distinguer. 

Sans dire un mot, notre chauffeur s'éloigne avec l'attelage et nos valises.

Où va-t-il ?

Je n'ose poser la question à voix haute et de toutes les façons, je n'ai nulle intention d'adresser de nouveau la parole à l'assassin de Plume à moins que je n'y sois contrainte et forcée.

Toujours dans le silence le plus froid et le plus complet, Danaé et moi nous retrouvons seules au bas du colossal escalier qui mène à l'entrée du château sans savoir quoi faire. Fort heureusement, la porte principale s'ouvre aussitôt sur un individu de taille moyenne dont la silhouette bien proportionnée se découpe dans l'embrasement avant de se diriger vers nous. À mi-chemin, il nous interpelle.

— Permettez-moi de vous souhaiter la bienvenue jeunes Élus. Si vous voulez bien me suivre. Sa Majesté vous attend.

Si vite ?

Je ne pensais pas rencontrer le roi aussitôt arrivée. Mon ventre se noue de panique à cette idée mais je me dis que le plus tôt sera le mieux. J'aurais ainsi eu mon lot d'émotions fortes et je pourrais ainsi souffler un peu avant de me consacrer à mes futures fonctions tout en accusant le deuil de Plume.

Toujours à contre-jour, nous ne voyons pas le visage de notre interlocuteur mais sa voix est envoutante et je le suis sans discuter tandis qu'il fait demi-tour en direction d'où il est apparu quelques instants plus tôt. J'entends Danaé nous emboiter le pas.

Tout ici me paraît démesuré. La surface de cette entrée pourrait contenir notre maison tout entière ainsi qu'une partie du potager de maman mais je tâche de ne pas y prêter attention et me focalise sur notre guide qui nous précède toujours.

Vu de dos, sa démarche est fluide et gracieuse. On pourrait croire qu'il flotte sur les épais tapis qui se déroulent à l'infini dans les interminables couloirs que nous empruntons. Il ne fait presque aucun bruit quand il se déplace. À la manière d'un chat. Et ce détail m'intrigue encore plus que la tenue haute en couleurs mais à la coupe parfaitement taillée dans un tissu de la plus haute qualité qu'il arbore.

Tout à coup, l'étrange inconnu pile net au beau milieu d'une immense salle ou une demi-douzaine de soldats en armure montent la garde. Si brusquement que je manque de le percuter ! Je reprends mon équilibre de justesse avant qu'il ne se tourne pour enfin nous faire face.

Quelle surprise !

Mon esprit a du mal à assimiler cette découverte mais je dois me rendre à l'évidence, le E marqué à l'encre bleu nuit sur sa tempe droite ne ment pas, c'est un Élu !

Danaé semble également décontenancée, ce qui n'arrive pas souvent il faut le reconnaître.

En revanche, notre air ahuri ne le chagrine visiblement pas et sans hésiter un seul instant sur notre identité, l'Élu nous salue.

— Bonsoir Danaé. Bonsoir Ana, ajoute-t-il en se tournant vers moi.

Du chat, il n'en a pas que la démarche. Comme chez le félin, l'intensité de son regard est déroutante et je tressaille lorsqu'il vient se river au mien. J'y perçois une infime lueur espiègle et une impression singulière me traverse. Jamais je n'avais ressenti cela auparavant et cette sensation me donne envie d'apprendre à le connaître.

— Je suis Arnault, je possède le Don de Clairvoyance et je suis conseillé du roi Théobald depuis de nombreuses années.

Le Don de Clairvoyance. Tout s'explique !

Je comprends mieux comment, à l'instar du professeur Aïn, il nous a reconnu sans même nous avoir déjà vues.

— Je vous souhaite à nouveau la bienvenue. Vous êtes ici dans l'antichambre du roi. Il vous fera mander chacune votre tour d'ici quelques instants.

Tandis qu'il poursuit son monologue je continue de le détailler sous toutes les coutures, incapable de détacher mes yeux de sa personne.

Pourquoi ne porte-t-il pas de cape ? Et quel âge peut-il bien avoir ?

Il effectivement délicat de donner un âge à ce visage à la fois sérieux et enfantin. Il est forcément plus âgé que nous s'il occupe ce poste depuis sa sortie de la Maison des Apprentis.

Depuiscombien de temps est-il là exactement ?

 J'ai hâte d'en savoir plus sur sa personne.

Après réflexion, s'il ne nous avait pas donné son prénom, j'aurais également pu me méprendre sur son sexe. Tout chez lui est controversé. Je lui trouve un mélange de virilité savamment dosée et d'élégance typiquement féminine. Ses traits sont également d'une finesse remarquable, sa mâchoire est relativement marquée quoi qu'imberbe et il porte les cheveux longs attachés bas sur la nuque, sans fioriture, à la manière des hommes. Jamais je n'ai rencontré pareil individu et je reste sans voix face à son intrigante personne. Comme fascinée.

— Ne vous tourmentez pas, cet entretien ne sera pas long, termine-t-il. Je vous conduirai ensuite à vos appartements. Ils se situent dans les quartiers des Élus à l'arrière du domaine que vous visiterez demain. Je vous laisse désormais patienter jusqu'à ce que l'on vous fasse quérir.