Chapitre 1 - le Don

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J'avais tout juste deux mois lorsque le Don a fait son apparition. C'était au cours de notre première sortie en famille dans le jardin aux mille fleurs. Sans raison aucune, plusieurs dizaines de papillons se sont posés sur moi.

J'étais trop jeune pour me souvenir de ce moment mais je peux l'imaginer sans peine. Maman qui s'effondre de stupeur et pleure de déception tandis que papa tente de la rassurer tout en essayant de faire fuir la nuée d'insectes volants avant qu'ils n'attirent l'attention des passants.

Il faut dire que de nos jours, le Don se fait de plus en plus rare. Ceux à qui il se révèle peuvent faire le choix de suivre une trajectoire différente. Ils deviendront alors des Élus.

Tous les enfants du Royaume d'Élenie ont un jour rêvé de faire partie de cette minorité intrigante. Mais en grandissant, ils comprennent instinctivement qu'être porteur du Don n'est pas forcément synonyme d'exploits ni de gloire.

D'après nos légendes, les Élus descendent des anciennes divinités. On dit qu'ils sont bénis des Dieux et même s'ils sont particulièrement respectés, ils sont avant tout extrêmement redoutés. En société, leur seule présence suffit à provoquer une sensation de malaise chez le commun des mortels.

Parfois, chez certains adolescents le Don n'est pas suffisamment développé. D'autres ne souhaitent tout simplement pas l'exploiter. Ceux-là font alors le choix de continuer à vivre une vie qui retournera d'elle-même à la normale. Puisque sans formation spécifique pour apprendre à le maîtriser et s'il n'est pas sollicité, le Don finit inévitablement par disparaître.

Les autres pourront choisir d'être initiés par les Élus renommés de la prestigieuse Maison des Apprentis lorsqu'ils atteindront la majorité élenienne à l'âge de dix-sept ans. Cette formation les tiendra à l'écart de leurs anciens camarades et de leur famille durant toute l'année que requiert l'Apprentissage. À son terme, ils pourront prétendre au titre d'Élus. Ils mettront alors leur Don au profit de la Plaine ou de la Citadelle. Où pour les meilleurs d'entre eux, au service de la Couronne en intégrant l'Élite Royale.

Maman, élenienne pleinement satisfaite de sa condition, a certainement prié tous nos dieux afin que je sois épargnée d'un quelconque Don. Comme sa mère avant elle, elle aurait souhaité que sa fille unique épouse un comte ou quelque riche noble à la situation bien établie.

Pour une élenienne, être unie signifie plutôt être confiée pour le restant de ses jours à un homme qu'elle n'a, pour la plupart du temps, pas choisi. Et allez savoir pourquoi, elles s'extasient toutes en prévision de cette cérémonie qu'elles considèrent comme le plus beau jour de leur vie.

Je trouve révoltant cette absence totale d'estime de soi au point d'accepter d'être offerte en pâture à un parfait inconnu !

La gent masculine ne m'a jamais intéressée. Au grand désespoir de ma mère je préfère de loin les chevaux aux garçons. Et de façon plus générale, à tous les représentants de mon espèce. Personne ne pourra donc m'unir de force à l'un de ces jeunes coqs endimanchés à peine matures incapables de différencier un cheval de trait d'un destrier.

- Plutôt mourir ! -

Durant l'année qui précède la Cérémonie du Choix, les parents se côtoient dans les soirées mondaines très prisées de la Citadelle. Soirées durant lesquelles ils se démènent pour tenter de trouver le meilleur parti possible à leur descendance.

- Quelle hypocrisie ! -

Je hais ces réceptions interminables ou chacun s'observe, y va de ses plus belles flatteries et de l'étalage de ses richesses dans le but de s'assurer l'arrangement parfait.

Fort heureusement, mon avenir à moi est tout tracé ! Mon don est si présent qu'aucun doute n'est possible. Nos relations les plus proches savent que l'Union ne sera pas pour moi.

Heureusement, il y a papa. Lui me soutient depuis toujours même si j'en suis certaine, il m'aurait souhaité une vie différente de celle qui m'attend.

Avec maman, c'est une tout autre histoire. Elle peine à se résigner et porte le poids de ma décision comme un fardeau. II n'est d'ailleurs pas rare qu'elle tente encore de s'attirer les bonnes grâces d'un jeune homme qu'elle souhaiterait voir devenir son gendre.

D'ordinaire, ces soirées-là se terminent toujours de la même façon : des cris, des pleurs, une porte qui claque et une fuite éperdue en direction de la clairière. J'aime maman ! Mais je souffre de la voir renier ainsi ma seule raison d'exister. Et malgré le lien de parenté qui nous unit, ces scènes tragiques finissent incontestablement par nous éloigner l'une de l'autre.

Mais d'un autre côté, je la comprends. Quand la majorité des jeunes filles de mon âge sont obnubilées par l'envie de découvrir à qui elles seront unies, obsédées par leur apparence ou par le denier bal de Lord Bardon, je passe mon temps à parcourir les bois en pantalon de toile et chaussée de bottes crasseuses à la recherche d'animaux à soigner ou à arpenter les écuries de Sir Tomas.

Mais ce temps-là est révolu. Ses vaines tentatives ne serviront plus à rien. Et surtout, je ne serai plus forcée d'assister à ces sempiternelles et futiles festivités en compagnie d'êtres vivants qui ne me comprennent pas.

Demain, je vais devenir une Apprentie.

Et bientôt, je serai une Élue.

Le Don d'Ana - Tome I - L'Apprentie Élue (En cours de rédaction)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant