Le Don d'Ana - Tome I - L'Apprentie Élue (En cours de rédaction)

Chapitre 14 - à la croisée des chemins

Passée cette inattendue mais néanmoins attendrissante rencontre, la soirée reprend son cours habituel. Du traditionnel signe de la main, le roi valide officiellement l'ouverture de cette Cérémonie du Choix, permettant à chacun de retourner à ses discussions et occupations précédemment interrompues par l'arrivée du cortège.

Quelques musiciens prévus pour l'occasion se mettent à jouer des airs connus de tous, plongeant ainsi l'ensemble de la Plaine dans une atmosphère joyeuse et légère.

Malheureusement, cela n'a pas le même effet sur ma personne. L'anxiété que je croyais enfin dissoute reprend finalement le dessus. Lentement, comme un poison qui court dans mes veines. Même les bavardages de Lyssandre qui s'avère intarissable quand il s'agit du prince Amaël, ne parviennent plus à détourner mon attention.

- Comment fait-elle pour être aussi détendue et insouciante ? -

Même si l'on considère que faire une bonne impression au roi est un enjeu de taille - je n'en doute pas un seul instant ! -, elle ne fait pas partie de cette minorité qui choisira le Don, attirant tous les regards à cause de cette différence. Elle n'aura pas non plus à endurer l'étape de la Marque qui me terrorise.

Je comprends donc mieux qu'elle puisse consacrer toute son énergie - inextinguible - à ces frivolités alors que je suis moi-même au bord du malaise.

Je dois absolument me reprendre. Je ne peux décemment pas m'écrouler au milieu de la Cérémonie et me ridiculiser devant des centaines de personnes, la famille royale, la garde et surtout devant maman qui ne le supporterait pas. Je le sais, elle ne me pardonnerait jamais une telle humiliation malgré tout l'amour qu'elle me porte.

Je tâche donc de respirer profondément et de me calmer. Heureusement, les chevaux royaux ont été conduits à l'écart de la foule dans un endroit plus tranquille. Quel joyeux remue-ménage j'aurais provoqué à cause de mon état s'ils s'étaient trouvés là ! Et je parle en connaissance de cause...

Depuis que j'ai compris que mes émotions sont également perçues par les animaux qui se trouvent à proximité, j'arrive, - dans la mesure du possible - à éviter de leur transmettre mes états d'âmes. Mais ce n'est pas une science exacte car la distance nécessaire pour empêcher ce transfert varie en fonction des espèces. Certaines sont plus réceptives, d'autres plus sensibles, cela dépend également de l'ouverture d'esprit dont chaque animal fait preuve.

De manière générale, je sais qu'avec les félins qui sont peu ouverts, quelques pas suffisent parfois à régler le problème. Avec les chevaux qui se révèlent plus sensibles, il faut être extrêmement vigilant et imposer une distance respectable de plusieurs dizaines de mètres. Il en va de même pour les chiens, les loups, certains rongeurs et autres animaux domestiques. En revanche, d'autres espèces plus complexes nécessitent un véritable lien passant par le toucher avant qu'elles ne soient en mesure de me percevoir. C'est notamment le cas avec tous les animaux à sang froid mais aussi avec les oiseaux.

Mais en ce qui me concerne, j'arrive à ressentir les émotions, à distance variable et sans contact physique, d'absolument toutes les espèces animales que je croise, sans aucune exception à ce jour.

Je suis tirée de ma torpeur par le son du clairon qui résonne par deux fois, annonçant ce moment que j'espère - et redoute - depuis toujours.

Tout à coup, je prends conscience que c'est avec ma famille que je devrais partager cette attente interminable et angoissante. Je réalise que ce signal a également fini par avoir raison de la passion de Lyssandre pour les monologues et lorsque je me tourne vers elle, je lui trouve l'air tout aussi tourmenté que moi. Je décide que c'est le moment idéal pour prendre congé et lui dire au revoir.

— Ma chère Lyssandre, il est temps que j'aille retrouver mes parents. Je suis certaine qu'ils aimeraient partager ces derniers instants avec moi. Comme vous le savez, - je doute pourtant qu'elle s'en souvienne -, je ne les reverrai pas avant de longs mois après avoir intégré la Maison des Apprentis.

— La Maison des Apprentis, oui bien sûr, répète-t-elle sans vraiment y prêter attention.

Je suis un peu attristée par sa réaction mais c'est du Lyssandre tout craché, fidèle à ce qu'elle a toujours été. Je devrais me faire une raison mais dans un élan d'émotion je tiens tout de même à poursuivre.

— Je doute que nous revoyons de sitôt, ni même un jour... Alors je vous souhaite sincèrement d'être heureuse et que votre rêve le plus cher d'intégrer la cour et d'épouser Amaël se réalise enfin.

Même si je n'ai aucun doute sur ces deux derniers points, le premier, quant à lui, me laisse quelque peu perplexe. En revanche, je me garde bien de partager cette opinion avec elle.

L'évocation de notre cher prince a le mérite de reporter sur moi son attention et elle semble enfin réaliser que nous sommes à la croisée des chemins.

Contre toute attente - elle arrive encore à me surprendre - elle se jette à mon cou, les yeux pleins de larmes.

— Chère Ana ! Je n'arrive pas à croire que nous nous quittions après toutes ces années. Vous ferez une Élue incroyable j'en suis certaine ! Comme vous me manquerez, s'apitoie-t-elle en reculant un peu et en prenant l'une de mes mains dans les siennes. Elle m'embrasse alors sur la joue.

Je suis véritablement touchée et embarrassée par sa sincérité évidente même si je suis convaincue qu'il n'en sera rien.

Mon amie pourra mettre toute la meilleure volonté du monde, une fois qu'elle aura rejoint la cour et son univers palpitant empli de robes splendides, de bals somptueux et surtout de son prince envoûtant, je n'existerai plus, c'est une certitude ! Mais je n'en suis pas malheureuse pour autant, j'ai toujours su qu'il en serait ainsi et c'est le cœur léger que je lui fais mes adieux pour de bon.

Nous nous sourions une dernière fois, ma main toujours dans celles de Lyssandre puis nous nous quittons enfin pour retrouver nos familles respectives et notre destin qui nous attend.