Le Don d'Ana - Tome I - L'Apprentie Élue (En cours de rédaction)

Chapitre 45 - La Cérémonie du Choix

Il fût un temps où j'aurais pu faire partie des jeunes gens de mon âge vêtus de blanc, attendant de recevoir leur bracelet où de rejoindre la Maison des Apprentis. Mais il y a fort longtemps que notre lignée n'a plus eu à choisir. Le Don n'est réapparu chez aucun de nos ancêtres depuis des centaines d'années...

Je ne vois donc pas l'intérêt de ma présence ici mais je vais tout de même devoir prendre mon mal en patience et voir défiler devant mes yeux la cinquantaine d'adolescents prêts à énoncer leur Choix.

- Dieux que cela va être long ! -

La parade de robes et tuniques blanches démarre et pendant qu'elles se succèdent devant l'Éclaireur, je laisse mon esprit vagabonder, incapable de montrer un quelconque intérêt pour cette tradition que je ne cautionne également pas. Et pourtant je sais qu'il serait délicat de faire disparaître celle-ci. Elle régit notre royaume depuis des centaines d'années.

Officiellement, elle rassure et donne à notre peuple une ligne directive, des croyances auxquelles se raccrocher. Mais de par ma position privilégiée, je sais qu'elle permet avant toute chose de réguler l'usage des Dons qui sont extrêmement puissants et précieux pour la Couronne. Je me demande cette fois combien de futurs Élus se révéleront. Comme les Dons se font de plus en plus rares et que ce Choix implique des engagements ridiculement lourds de conséquences, certaines années nous n'avons qu'un seul prétendant au titre. Parfois aucun.

La Cérémonie a démarré depuis une bonne demi-heure maintenant et je ronge mon frein quand tout à coup je ressens quelque chose de différent dans l'air ambiant. Comme si le temps s'était figé. Je daigne me reconcentrer sur ce qu'il se passe autour de moi et prends conscience que tout le monde - y compris le reste de la famille royale - est totalement subjugué par le passage d'une jeune fille à la chevelure claire et aux yeux pâles qui s'apprête à monter à sur l'estrade.

Je pose les yeux sur elle un instant pour tenter de comprendre ce qui a bien pu les interpeller de la sorte mais je reste perplexe. Elle est jolie, certes, mais je n'ai que peu d'intérêt pour la gent féminine ces derniers temps, encore rongé par la perte de mon frère et les futures responsabilités qui m'incombent maintenant qu'il nous a quitté. Je la contemple toutefois une fraction de seconde supplémentaire avant de laisser à nouveau mon esprit vaquer à ses préoccupations.

Je n'ai pour autant pas manqué de remarquer que Père, Mère et Ella ont tous trois des étoiles plein les yeux ! Et je ne peux m'empêcher de lever les miens au ciel sachant déjà ce que cela implique... À moins qu'une autre jeune fille ne la surpasse en beauté, celle-ci rentrera avec nous au château dès ce soir.

L'heureuse élue et moi-même ne serons pas autorisés à nous unir avant que je n'aie accompli le Rite de la Capture et démontré que je suis digne de la prendre pour épouse. Mais dans cette attente elle devra tout de même renoncer à sa vie et à ses proches pour venir s'installer dans ses futurs appartements et faire son entrée à la Cour.

- Pauvre fille -

Elle ne sait pas ce qui l'attend.

L'atmosphère au château n'est malheureusement plus vraiment ce qu'elle a été. Du temps où Rodric était parmi nous, cela aurait été un réel bonheur de partager notre quotidien ! Mon frère était un héritier modèle, répondant à toutes les attentes de notre père et moi, je pouvais entièrement me consacrer à mes activités favorites : monter à cheval et chasser. Ella était la plus heureuse des petites princesses et la reine Lyvia était une mère comblée.

Notre famille était unie parce que chacun semblait être exactement à la place qui lui était destinée. Ni plus ni moins. Mais depuis ce terrible accident, cette unité et ce bonheur ont explosé en mille morceaux. Père est devenu plus autoritaire que jamais et semble m'en vouloir d'avoir pris la place de Rodric. Alors que pour ma part, je le tiens entièrement responsable de sa mort et n'ai jamais souhaité devenir roi.

Et pendant que nous passons notre temps à nous affronter sur des sujets de discordes divers et variés, Ella, elle, ne prononce plus un mot. Seule Mère reste fidèle à ce qu'elle a toujours été ; douce et aimante. Mais l'infinie tristesse qui voile son regard ne trompe personne. Il n'est pas nécessaire d'avoir le Don de Clairvoyance pour savoir qu'elle est dévastée par la perte de son premier fils.

C'est sur cette note lugubre que sont focalisées mes pensées lorsque je sens Arkos s'agiter à mes pieds. Il se redresse et sans raison aucune apparente se met à couiner et à gémir de plus en plus fort. Il est encore jeune mais c'est un animal plutôt équilibré, bien plus curieux et téméraire que craintif. Et il était si calme jusque-là... Je ne comprends donc pas ce qui a pu éveiller une telle détresse. Je regarde autour de nous en quête d'un élément perturbateur mais je ne vois rien qui ait pu l'inquiéter de la sorte.

L'assemblée est comme pétrifiée tandis qu'une jeune fille à la natte brune ornée de fleurs sauvages se tient sur l'estrade devant l'Éclaireur. Elle a l'air affolée mais reste parfaitement silencieuse, comme suspendue aux gémissements du chiot que je n'arrive pas à calmer et qui embarrasse toute ma famille. Père qui n'était absolument pas d'accord pour que je ramène Arkos chez nous de peur qu'il se révèle dangereux, surtout pour Ella, me jette un regard désapprobateur que je soutiens farouchement. Je sais que l'arrivée du chiot a été bénéfique pour ma sœur et lui a redonné goût à la vie ! Je ne regrette donc aucunement ce caprice comme se plaît à le surnommer notre roi.

Et pourtant, je ne suis pas fier de l'humiliation qu'il est en train de causer à mes proches et à moi-même. Que vont penser tous ces gens ? Si je ne suis pas capable de faire taire un chiot, comment serais-je capable de gouverner un royaume ?

Tous les regards sont braqués sur nous et je suis tellement désespéré de ne pas arriver à calmer Arkos que j'envisage un instant de quitter les lieux avec lui. Mais sans que rien ne bouge autour de nous, l'assemblée étant totalement immobile, il semble pourtant enfin s'apaiser. Je le caresse pour l'encourager et il finit par s'allonger et cesse enfin ses jérémiades.

Je relève la tête, soulagé mais un peu honteux de la scène qui vient de se dérouler. C'est là que mon regard revient se poser sur l'adolescente en tenue blanche qui nous fait encore face, n'ayant visiblement toujours pas énoncé son choix. Elle a les yeux fermés, légèrement froncés et paraît extrêmement concentrée. Je ne saurai dire pourquoi mais cette attitude m'intrigue. Surtout quand je sens l'attention d'Arkos entièrement fixée sur elle.

Soudain, une connexion semble s'établir dans mon esprit ! Je suis intimement persuadé que cette fille est liée à ce qui vient de se produire !

- Comment est-ce possible ? -

Et cette intuition se renforce quand je la vois ouvrir les yeux et poser son regard sur mon chien, un air de triomphe sur son visage.

- Comment ose-t-elle ! -

Je sens une rage impossible à canaliser monter à l'intérieur de moi.

- Je pourrais la faire enfermer pour nous avoir infligé une telle honte ! -

Et puis, se détachant d'Arkos, elle relève la tête et nos regards se croisent. Le mien étincelant de colère, le sien coupable et terrifié.

À cet instant, elle sait que je sais.

Nous savons tous les deux qu'elle est à l'origine de ce tapage consternant.

Elle doit ressentir les ondes de haine que je lui adresse puisque que je la vois baisser la tête et fixer le sol, incapable de soutenir notre joute visuelle et en proie à un malaise évident. Malheureusement cela n'a pour autre effet que de réveiller Arkos qui redresse la tête, prêt à reprendre ses lamentations.

- Par tous les Dieux ! Cela ne va tout de même pas recommencer ! -

Mais contre toute attente je vois l'inconnue prendre une grande inspiration et clore à nouveau ses paupières pour les réouvrir l'instant d'après, l'air calme et déterminé. Et étonnamment, le comportement d'Arkos semble faire écho à son attitude.

La curiosité laisse alors une petite place à la colère qui m'habite et ce n'est pas sans surprise que je l'entends prononcer son Choix.

- Moi, Ana Tanner, je déclare choisir le Don. Ainsi, j'intégrerai la Maison des Apprentis dans le but de devenir une Élue et je renoncerai à l'Union pour consacrer ma vie à servir le Royaume d'Élenie. Je jure devant la Couronne de respecter ce Choix et de ne pas trahir ce serment sous peine de recevoir le Châtiment Suprême, déclare-t-elle d'une voix forte et sans faille avant de décamper aussi vite que le lui permet sa tenue de cérémonie.