Chapitre 33 - Laslaut

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Romuald est encore attablé lorsque je pénètre dans l'antre de Marta. La bouche pleine, il lève la main en guise de bonjour et en dehors de la vaisselle usagée qui traine sur la table, aucune trace de Danaé, ni de Léonce.

— Ils sont déjà partis, répond-il à mon interrogation muette. Ça va ? Tu as bien dormi ?

— Comme un loir. J'étais vraiment épuisée. Et toi ?

— Pareil ! Je n'ai jamais eu un lit comme ça ! En revanche, pour ce qui est du réveil en fanfare, je m'en serai bien passé ! ajoute-t-il en mordant avec énergie dans une tartine généreusement napée de confiture.

Je réponds en riant que je partage son avis mais qu'il va certainement falloir s'y faire tout en me servant une tasse d'infusion encore fumante.

Je pensais avoir faim mais la seule chose que j'arrive à avaler est une petite tranche de pain frais et trois cuillers d'œufs brouillés. L'appréhension de rencontrer mon professeur que j'avais repoussée tout au fond de moi refait surface alors que le moment fatidique approche et un millier de questions se bousculent dans ma tête. - Et si je n'étais pas à la hauteur ? Si mon niveau était en dessous de ses attentes ? -

Je regarde Romuald finir de dévorer son petit-déjeuner l'air complétement détendu et j'hésite à lui faire part de mes inquiétudes. Je n'ai pas envie de lui communiquer mon angoisse alors qu'il n'a pas l'air de s'en faire du tout. Je choisis donc de garder ça pour moi tout en admirant avec envie son détachement.

Je suis encore dans mes pensées quand il se lève brusquement, attrape ses affaires et s'excuse de partir aussi vite.

— Désolé de t'abandonner Ana mais je préfère y aller ! Je n'ai pas trop envie d'être en retard dès le premier jour, précise-t-il en penchant la tête vers la fenêtre pour voir l'avancée du soleil au-dessus des bâtiments. Bon courage ! On se voit au déjeuner ! ajoute-t-il avant de filer.

Moi non plus je n'ai pas envie de faire mauvaise impression.

Je m'empare donc de mes livres et me dirige avec détermination vers le jardin. Si Romuald a trouvé le cran de surmonter cette épreuve, je devrais pouvoir en faire autant !

C'est pourtant les mains tremblantes et le cœur battant la chamade que je pousse la porte de ma salle de classe. Je m'attendais à trouver mon formateur déjà sur place mais je découvre que je suis seule dans la pièce. Ce qui n'est pas pour me déplaire ! Je peux ainsi prendre le temps de me familiariser avec les lieux et essayer de me détendre un peu.

Parmi les bureaux individuels alignés deux par deux au centre de la pièce j'en choisis un au second rang, me sentant plus à l'aise de laisser un peu d'espace entre le professeur et moi. N'ayant pas oublié l'exemple d'hier, je me saisis d'un rouleau de parchemin neuf à disposition à l'entrée, d'un encrier et d'une plume avant d'aller m'asseoir.

Le perchoir est la première chose que je repère après avoir jeté un rapide coup d'œil autour de moi. Il est identique à celui aperçu dans la ménagerie et tellement énorme qu'il occupe tout l'espace entre la fenêtre et l'estrade qui accueille le bureau du professeur. L'oiseau à qui il est destiné doit avoir un gabarit vraiment hors norme pour nécessiter un support de cette taille et j'ai hâte de le rencontrer.

Plume me manque beaucoup et j'ai toujours trouvé les volatiles très intéressants sur le plan de la communication.

J'espère donc pouvoir travailler avec celui-ci rapidement.

Tant que je suis encore seule je continue mon inspection des lieux en espérant me faire une idée de la personnalité du professeur Laslaut. Mais la pièce ne laisse pas transparaître grand-chose, si ce n'est un goût particulièrement prononcé pour l'ordre et la propreté.

En effet, il est difficile d'imaginer que cette salle puisse mettre en scène des animaux. Tout ici semble avoir été récuré récemment.

Le grand tableau noir est immaculé ; les étagères sur lesquelles reposent des ouvrages et des représentations de loups, de renards et de cerfs en bois sculptés sont dépoussiérées et harmonieusement agencées ; aucune odeur bestiale n'embaume la pièce et pas un poil ni une plume ne traîne au sol. Même le socle du perchoir n'est souillé par aucune trace d'excréments d'oiseaux et pour en avoir ramené un certain nombre à la maison - au grand dam de maman ! - je sais qu'ils sont pourtant impossibles à gérer sur ce plan-là...

Pour être tout à fait honnête, je suis légèrement inquiète. Si je n'avais pas vu les sculptures animales et le juchoir à rapace, je jurerais m'être trompée de salle.

Pour ne pas accroître mon anxiété, j'occupe mon esprit en ouvrant la première page d'Espèces animales au moment précis où la porte s'ouvre sur celui qui doit être mon professeur.

Avec sa haute silhouette accentuée par la longue cape d'un noir d'encre qu'il porte, sa démarche nerveuse, son visage fermé et ses yeux sombres, il est plutôt intimidant.

Dire que je l'imaginais petit, avec des yeux rieurs et un sourire jovial...

— Bonjour Mademoiselle Tanner, je suis le professeur Laslaut, me confirme-t-il en passant devant moi sans un regard, ni même un sourire pour me mettre à l'aise.

— Je vous laisse ouvrir le manuel que vous avez déjà entre les mains à la page onze, nous allons démarrer par l'étude des animaux domestiques. Plus précisément par l'espèce canine apprivoisée qui reste aujourd'hui la plus facile à appréhender pour les novices tels que vous.

- Les chiens ?? Vraiment ? -

Je m'attendais à un sujet d'étude un peu plus excitant pour ce premier cours et j'ai du mal à empêcher la déception de pointer le bout de son nez.

Cela fait maintenant deux bonnes heures que j'écoute le professeur m'exposer l'origine des chiens domestiques ; les différentes races recensées à ce jour ; les différences de comportement entre ces dernières et leurs habitudes alimentaires...

Je suis attentivement ses explications en prenant des notes même si mes propres études et recherches tout au long de ces dernières années m'ont déjà permis d'assimiler bon nombre de ces informations.

Mais étant donné qu'il ne me questionne aucunement sur mes connaissances, je n'ai pas la chance de pouvoir échanger sur certaines des découvertes que j'ai pu faire de mon côté et que j'aurais souhaité évoquer avec lui.

Je dois avouer que je ne m'attendais pas vraiment à ça.

Plus que frustrée, je suis surtout déconcertée par cette première matinée. Effectivement, démarrer par la théorie me paraît tout à fait raisonnable. Mais une part de moi - certes immature – aurait bien aimé faire une démonstration de mes capacités à mon professeur.

Seulement, après réflexion, je n'ai jamais eu d'élément de comparaison et je serai bien incapable de dire si mon niveau est à la hauteur de ce qu'il attend d'un Apprenti débutant. J'attends donc patiemment que l'heure du déjeuner approche afin de questionner les autres sur la façon dont s'est déroulé leur premier cours.

Lorsque le professeur me libère, je suis soulagée de pouvoir enfin poser ma plume tant j'ai la main douloureuse d'avoir écrit pendant des heures. Avant de sortir, je lui souhaite un bon appétit poli auquel il me répond par un vague grognement sans daigner relever la tête d'un petit calepin à la couverture de cuir dans lequel je le vois inscrire quelques annotations.

Tout en refermant la porte, je me demande avec curiosité ce qu'il peut bien rédiger là-dedans avant de repousser cette question loin de mon esprit, trop pressée à l'idée de partager mes premières impressions avec Romuald.

Le Don d'Ana - Tome I - L'Apprentie Élue (En cours de rédaction)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant