Une fois remise de mes émotions et de la découverte de mon nouveau visage, l'Élu me conduit vers l'arrière de la tente par une autre sortie invisible aménagée dans la paroi de l'édifice éphémère.
Je me retrouve alors en compagnie de Léonce qui patiente sagement assis sur un banc, le regard dans le vide. Il lève la tête à mon approche mais je vois dans ses yeux vitreux qu'il n'a pas l'air dans son assiette.
Je m'installe à ses côtés et tente de faire enfin connaissance.
— Ton tatouage est très beau.
— Merci, me répond-t-il avec un sourire peu convaincant. Le tien aussi. Je ne pensais pas que ce serait aussi douloureux, ça chauffe énormément mais j'imagine que ça va passer, enfin j'espère...
Pour ma part, la douleur atténuée par la prise de l'élixir ne s'est pas encore réveillée. Mais je dois avouer que je n'ai pas forcément envie de m'étaler sur le fait que j'ai fait usage de la potion ni sur les raisons qui m'ont poussées à le faire.
Même si je n'ai aucun regret, je préfère me taire et compatir avec lui en silence.
Pendant que nous patientons, j'observe mon compagnon à la dérobée, tentant de découvrir qui se cache derrière cet air un peu absent que je lui trouve depuis que je l'ai rencontré.
Son visage et ses traits sont fins, il pourrait presque paraître malade tant le reste de son corps l'est aussi. Mais si je me fie à la couleur de sa peau, à ses pupilles, à ses articulations et à sa posture, il me paraît évident qu'il est en parfaite santé. Il est seulement d'une constitution plutôt inhabituelle pour un garçon. Cela dit, je me trompe peut-être...
- Après tout, ce n'est pas un animal que tu étudies là Ana. Et tu n'as pas non plus le Don de Guérison ! -
Je suis encore dans mes pensées lorsque la tenture s'écarte enfin pour laisser place à un Romuald tout agité qui prend place à côté de moi.
— Vous avez vu ça ! On est des Apprentis maintenant ! Des vrais ! Vos tatouages sont aussi réussis que le mien, je suis vraiment content. Et je n'ai même pas eu mal ! Rien senti ! Du tout ! claironne-t-il oubliant qu'il y a une demi-heure à peine, il était à deux doigts de tomber dans les pommes. Et vous ?
Léonce sort de ses rêveries et tourne la tête vers lui d'un mouvement brusque.
— Tu as pris l'élixir ? lui demande-t-il d'un air incrédule comme si c'était la pire des actions au monde.
- Par tous les Dieux ! -
Comment peut-il être aussi influençable alors qu'il souffre atrocement de la brûlure cuisante infligée par le rite ?
— Et bien oui, répond Romuald en rougissant. Mais Ana aussi ! ajoute-t-il aussitôt pour sa défense.
À mon tour de piquer un fard.
J'aurais préféré qu'il ne s'en vante pas mais de toute façon, je mets ma main au feu que Danaé se fera un plaisir de nous le rappeler.
La voilà d'ailleurs qui sort.
À son visage crispé - certainement de douleur - et à sa moue de conquérante, il est évident qu'elle n'a pas touché à la fiole. Et comme je l'avais prédit, elle ne peut s'empêcher de mettre avant notre défaillance.
— Je te félicite pour ta bravoure Léonce. D'autres n'ont pas eu ton cran, le flatte-t-elle en nous jetant un regard méprisant que je soutiens sans ciller, la défiant ainsi de continuer à enfoncer le clou.
Mais cela semble suffire à la satisfaire.
Et de toute façon, elle n'aura pas l'occasion d'ajouter quoique ce soit pour l'instant puisqu'une silhouette émergeante de la pénombre environnante et armée d'un flambeau se dirige vers nous d'un pas vif.
Nous tournons tous les quatre la tête vers l'inconnu qui se trouve maintenant à notre hauteur.
J'ai beau n'accorder aucun intérêt à la gent masculine, il serait difficile de ne pas le trouver séduisant avec son corps démesurément musclé, ses yeux chaleureux et son visage anguleux à la symétrie parfaite.
Et je soupçonne Danaé de partager cette pensée si je me fie à l'expression aguicheuse qui anime désormais ses traits.
- Ce qui n'est pas pour plaire à son admirateur qui paraît plus que contrarié d'assister à cette scène ! -.
Le nouveau venu met facilement deux têtes aux compères masculins de notre petit groupe et pourtant je suis prête à parier qu'il n'est pas beaucoup plus âgé que nous quand il nous décroche un sourire juvénile en prenant la parole.
— Bonjour, je m'appelle Eric. Je suis chargé de vous conduire à la Maison des Apprentis. Vos valises ont déjà été chargées. Si vous voulez bien me suivre.
Nous nous engageons à sa suite en file indienne, quittant la proximité rassurante de la tente et des bruits lointains de la Cérémonie qui s'éteignent à mesure que nous nous enfonçons dans les profondeurs de la forêt.
Nous tâchons de suivre de notre mieux le rythme soutenu imposé par notre guide et nous avançons les yeux rivés au sol pour ne pas nous entraver dans les racines des arbres faiblement éclairées par la flamme en tête de notre procession. Après quelques minutes de marche, le terrain semble enfin se dégager et nous arrivons près d'un chemin assez large pour être emprunté par quatre personnes marchant de front.
Dans la faible lueur dispensée par le flambeau d'Eric, j'aperçois deux paires de chevaux de trait attelés à deux voitures couvertes qui nous attendent.
En temps normal et guidée par mon Don, je me serais automatiquement concentrée sur ces derniers. Mais ce soir, mon regard est irrémédiablement attiré par le symbole de notre Royaume frappé en lettre rouge vif sur les portes des véhicules. Symbole à présent tatoué sur nos visages.
Pendant que je frissonne dans l'air frais de la nuit qui commence à être bien avancée, Eric nous demande de nous répartir par deux dans chacune des voitures. C'est donc tout naturellement que je me retrouve à grimper dans celle qu'a choisi Romuald en tentant de ne pas arracher la dentelle de ma robe.
Nous nous retrouvons dans une petite cabine exiguë mais confortable ou nous attendent deux couvertures bleu nuit moelleuses et plus que bienvenues. Et le temps que nous prenions place face à face, la voiture se met en branle.
— Nous voilà partis pour notre nouvelle vie ! J'espère que le trajet va vite passer. On ne sait même pas ou l'on va, ni pour combien de temps on en a ! lance Romuald à peine assis et encore tout excité par nos récentes aventures.
Je lui souris en guise de réponse mais la fatigue de cette journée riche en émotions, couplée au son familier des sabots qui martèlent la route à intervalles réguliers est en train d'avoir raison de moi. Je pose alors ma tête contre la portière et me laisse emporter vers un sommeil sans rêve.
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Le Don d'Ana - Tome I - L'Apprentie Élue (En cours de rédaction)
FantasyLEUR DESTIN SE SONT CROISÉS MAIS ILS N'AURAIENT JAMAIS DÛ SE RETROUVER. "Demain, j'aurai dix-sept ans. Demain, la Cérémonie du Choix aura lieu. Dans mon monde, le jour de nos dix-sept ans, deux possibilités s'offrent à nous. On peut choisir l'Un...