Chapitre 70 : La boite à musique

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Anna se contentait de garder ce qu'elle avait vu pour elle, mais ce n'était pas le cas d'Édith et Agathe qui discutaient à voix haute dans le couloir, juste derrière sa porte, de la magnifique cavalière que leur maitre avait invitée.

- Comment s'appelle-t-elle ? demanda la jeune domestique à sa collègue plus âgée.

- C'est mademoiselle Hélène Swann. Après tout ce temps, il ne l'a pas oubliée ! Elle vivait en Angleterre, c'est la cousine de monsieur Brightman. Je ne pensais pas qu'elle reviendrait un jour en France ! Apparemment, elle est rentrée définitivement. Pauvre Monsieur de Monseuil, s'il avait su, il n'aurait pas épousé la fille des Vermeil !

Anna brodait au calme, assise sur son fauteuil. Elle reproduisait sur un petit tambour les myosotis que sa mère lui avait appris pour trouver un peu de réconfort. Elle se servait de son souvenir comme protection contre la forte douleur qu'elle ressentait dans le cœur.

Devait-elle fermer la porte de sa chambre pour ne plus les entendre ? Non. Elle n'en avait pas la force. L'identité de la favorite de Georges ne lui provoqua même pas une surprise. Pourtant, Anna avait déjà entendu son nom quelque part auparavant. C'était lors d'une discussion entre plusieurs femmes qu'elle servait pendant la fête du printemps organisée par monsieur Henri de Dervalière. Elles avaient réveillé le bruit selon lequel la demoiselle Swann était la seule femme que Georges appréciait. À cette époque, Anna s'était demandé pourquoi Georges ne lui avait jamais parlé de cette dame.

Maintenant, elle avait sa réponse.

« Anna, se dit-elle. Madame Pichon avait raison, si seulement tu l'avais écoutée. Ce que tu as pris pour de l'amour n'en était pas. Georges ne t'a jamais aimé. Il n'éprouvait qu'une petite passion passagère pour une domestique. Tu n'as jamais été comme toutes les autres. Tu as toujours été beaucoup trop loin de son monde. »

Elle se remémora le visage inquiet de Georges qui avait veillé sur elle après qu'elle ait été touchée par une flèche.

« J'ai dû le mettre dans l'embarras. Il a tout simplement rendu mon affection au centuple. »

Elle releva la tête de sa broderie.

« Je ne vois plus clair », dit-elle à voix basse en cherchant un mouchoir pour essuyer ses larmes.

- Il doit le regretter amèrement, reprit la voix d'Édith.

- Enfin, la dame avait une meilleure dot !

- Évidemment, c'est pour cette raison qu'il l'a épousée !

- Quel monde de malheureux !

- Encore ! protesta une nouvelle personne avec un accent anglais. Pourquoi parlez-vous derrière la porte de Madame ? Cette fois-ci, je vais le dire !

- Courez donc tout rapporter au maitre ! Vous n'aurez même pas le courage de l'approcher !

- Je... Je...

Molly entra brusquement dans la chambre de sa maitresse.

- Madame !

Affligée par un chagrin qu'elle cherchait à dissimuler, Anna resta concentrée sur sa broderie. Elle respirait doucement pour ne pas réveiller de nouvelles larmes.

- Pourquoi ne fermez-vous pas votre porte ? Elles passent leur temps à dire du mal de vous !

- Je n'ai rien entendu, déclara faiblement Anna.

- Madame, pourquoi ne leur dites-vous rien ?

- Elles finiront par se lasser.

- Mais elles vous font souffrir ! s'emporta Molly. Elles ne savent pas que le maitre vous aime, elles inventent de fausses rumeurs ! Vous allez finir par perdre confiance en vous en les écoutant et vous ne vous battrez plus pour obtenir l'amour de Monsieur !

Le fabuleux destin d'AnnaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant