Chapitre 21 : Crépuscule

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Pendant la nuit, le jour s'échappait. Pendant la nuit, les tourments prenaient fin. Les souvenirs qui avaient été écrits s'effaçaient, les feuilles du passé pesant s'envolaient avec le vent de l'oubli. Puis le crépuscule du matin suspendait ce moment entre le sommeil et la réalité. Bien des hommes invoquaient cette douce lumière pour imaginer une nouvelle vie, meilleure, remplie d'espoir. Enfin, le jour se levait ! Une nouvelle page blanche s'offrait sous le regard de ceux qui voulaient se pardonner, s'accorder une seconde chance. Mais il y avait un « deal ». Il fallait avouer à la vie les choses invisibles que l'on se cachait pour avancer sereinement.

Il était cinq heures du matin et Georges était assis sur le bord du lit, les yeux fermés. Absorbé par le silence, il ne bougeait pas. Il avait mal. Son cœur arraché par petit bout il y a des dizaines d'années ne cessait de lui murmurer : « je suis encore là ». Ces morceaux ensevelis, qu'il préférait ignorer l'existence, cherchaient encore à danser les valses de la vie, lui montrer qu'il pouvait se libérer de son passé.

Impossible.. Il passa une main sur sa nuque.

Son cœur suppliait à genoux des espaces de liberté. Mais comme il était pénible de regarder un enfant pleuré sans pouvoir le consoler, Georges s'arracha de cette plainte douloureuse.

Ce n'était qu'un mauvais moment à passer. Il avait l'habitude d'y faire face. L'anniversaire de Nicolas approchait et il fallait gérer les préparatifs. Bientôt, sa mère arriverait à la Grande Demeure.

Depuis l'instant, où il avait décidé de garder pour lui le secret, il avait définitivement tiré un trait sur l'espoir un jour d'être aimé. Il avait dit adieu à cette quête inutile, de trouver dans le regard de sa famille une étincelle d'affection. Maintenant, il obéissait à sa destinée en ayant presque oublié ses états d'âme, préférant la raison et la mémoire guider ses actes.

Georges vivait à la demeure familiale Monchateau. À travers chaque mur, chaque pièce, il entendait encore Nicolas lui réciter une leçon d'algèbre, rire, prendre un livre et débattre d'un point de vue philosophique avec l'auteur. Souvent lorsqu'ils discutaient, ses pieds battaient un rythme sur le parquet. Georges admirait avec quelle aisance et avec quelle simplicité, son frère produisait de la musique partout où il était. Alors que son esprit à lui était étriqué par la logique et les valeurs morales, rejetant les lois mystérieuses du hasard, celui de son frère plongeait sans éprouver le moindre vertige, dans le vide créatif aux mille possibilités inconnues. Il était le Rossignol. Libre.

Dans l'antre de sa famille, personne ne remarquait le petit Georges. Sans arrêt, inquiet de ne pas avoir l'amour de ses parents, il redoublait d'efforts pour leur plaire, quitte à rester silencieux pour ne pas leur créer le moindre souci. Il hésitait à réclamer de l'attention par peur de ne pas mériter cet attachement. Et si l'on venait à penser qu'il jalousait son frère ? Les contacts affectifs étaient rares, alors il pensait établir par des regards une façon singulière de communiquer. Un jour, après l'avoir cherchée au milieu d'un salon mondain, sa mère se retourna. Son cœur vibra. L'avait-elle vu ? Vraiment ? Un sursaut suspendit un battement, l'âme émue et muette. Non, ce n'était pas pour lui.

Combien d'émotions avaient frappé son beau visage sans que personne n'entende ? L'écho s'était perdu dans l'air, là où il n'y avait pas d'intérêt d'être vu, puis sans bruit, sans laisser d'impressions, il s'était éteint. Il y avait comme cela, des âmes cachées aux yeux du monde. « J'aimerais que tu te détaches de ton frère, lui avait reproché son père. Tu as une vilaine habitude de lui montrer ton affection en public. On m'a raconté qu'un lien spécial unissait des jumeaux, je ne crois pas à ces balivernes. C'est mal sain. Nicolas a le succès et il est très doué pour le piano, je souhaite l'envoyer auprès d'un grand professeur. Et toi, qu'est ce que tu vas devenir ? Souhaites-tu rester le nigaud dans l'ombre de ton frère encore longtemps ? »

Le fabuleux destin d'AnnaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant