Chapitre 19 : Le mouchoir brodé

5K 674 101
                                    

Anna étira ses bras vers le ciel puis les fit retomber dans un souffle apaisé. Depuis quelques jours, elle ne sentait plus aucune tension dans ses muscles. Cette sensation à nouveau de légèreté était très agréable. Elle avait cessé de livrer une bataille intérieure contre ceux qui l'avaient sévèrement punie et s'était promis de ne pas chercher à se venger de Madame de Monseuil comme l'avait suppliée sa gouvernante. Seulement, elles ne se voyaient plus, ne se parlaient plus. Anna n'était pas encore prête de faire comme si rien ne s'était passé.

Cette tragédie lui avait laissé des impressions pénibles sur une vérité qu'elle ne voulait pas admettre. La plus triste : Madame Pichon obéirait toujours à la Grande Demeure. Même si sa conscience refusait de commettre des actes injustes, elle ne s'offensait de rien, persuadée qu'elle devait garder le silence pour témoigner son respect envers ses maitres. Ses propres opinions l'avaient quittée. Et la plus désagréable : Georges n'était désormais plus qu'un étranger. Pourtant, sans en connaître la nature, elle sentait un fil invisible les relier, quelque soit la distance qui les séparait. Ironie du sort ! Le destin se moquait d'elle !

Plusieurs fois, elle s'était mise furieuse contre le souvenir de cette nuit remplie de douceur, qui l'avait ensuite laissée face à un homme sans pitié et méprisant. Mais son visage se glissait dans ses rêves. Il perdait sa froideur habituelle, bien loin d'exprimer des mots sévères, à peine dans un souffle, il murmurait : « Je suis désolé ». C'était donc trop tard, à présent, Georges s'était frayé une place en elle, et flottait harmonieusement quelque part, tout comme ses amis. Il lui était impossible de l'extraire malgré toute sa bonne volonté. À contrecœur, elle devait l'accepter. 

Anna courait sous le ciel dégagé et illuminé par les premiers rayons d'automne. Son cœur palpitait d'excitation. Lorsqu'elle pénétra pour la première fois dans les écuries de la famille de Monseuil, elle cria à tue-tête : « Pierre ! »

Le bâtiment logé dans une cour secondaire était luxueux. Un carrelage émaillé, en forme de losange bordeaux et crème, formait l'allée principale. Il était d'une propreté exemplaire. À droite et à gauche, on pouvait admirer les chevaux, parfaitement alignés dans la paille et séparés par de beaux panneaux en bois. Le poteau métallique de chaque stalle suspendait un bridon.

Pierre se hâta de la rejoindre et ils se serrèrent chaleureusement dans les bras. Le cœur d'Anna se gonfla de bonheur. Cela faisait plus d'un mois qu'ils étaient séparés, revoir un visage familier lui faisait beaucoup de bien ! Sa joie débordait, un petit rire s'échappa de sa bouche.

- Tu as vraiment l'air d'un palefrenier, je te félicite ! Tu dois être heureux, c'est ce que tu as toujours voulu faire !

Elle le dévisagea et Pierre se sentit à la fois gêné, et très fier. Sa salopette recouvrait une simple chemise blanche en coton, très propre. Il avait fait exprès de retrousser ses manches pour ne pas paraître négligé. Bien sûr, il n'était pas apprêté comme un noble, mais sa Anna ne se souciait pas des vêtements. Ho, ça non, elle n'était pas une fille superficielle ! Il était ému de retrouver son amie d'enfance, celle qui possédait l'entièreté de son cœur. Enfin, il n'était plus qu'un simple fermier, mais un employé dans une grande famille ! Peut-être que cela suffirait à installer une nouvelle relation entre eux, qu'elle poserait un nouveau regard sur lui, différent de l'amitié. 

- Je suis content de te voir Anna, j'attendais ce jour avec impatience. Comment te sens-tu à la Grande Demeure ? Est-ce que tu manges bien ? Tu as de nouveaux amis ?

- Oui, tout va bien ! Et toi plutôt parle-moi de toi ! Tu loges ici ? Le travail te plaît ?

- Nous habitons dans un bâtiment à côté, pas loin des entrepôts des diligences. Je dois reconnaitre que je me plais bien, les chevaux sont magnifiques !

Le fabuleux destin d'AnnaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant