Chapitre 32 : Des cris et des pleurs

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Anna débarrassait la table du petit déjeuner avec les autres domestiques. Elle avait dans les yeux le souvenir de sa journée d'hier avec Georges. Elle allait et revenait sur son beau visage ténébreux. Son air fier et imperturbable qui cachait sa nature douce. Ses petits sourires intimidés par sa propre sensibilité. Elle voyait les saisons passer dans ses yeux. Tout le monde le connaissait sous l'aspect froid de l'hiver, mais il y avait un Georges plus triste et plus nostalgique comme le soleil couchant de l'automne, qui cachait le mystère de sa solitude. Puis, parfois si on prenait le temps de mieux le connaitre, on pouvait voir jaillir dans son regard, la chaleur de l'été par un bonheur, un instant de joie, laissant derrière lui le fardeau de son passé.

Anna avait envie de se surnommer « la femme printemps », celle qui donne le souffle pour que tout rayonne et se lève à nouveau. C'était grâce à elle que Georges s'ouvrait de jour en jour à la vie. Il se débarrassait de cette nécessité d'être l'aristocrate indifférent, même s'il voulait encore protéger quelques fleurs tristes de sa mémoire. Anna sourit. Elle était fière de le déraciner de ses habitudes. Tout près de son cœur, elle sentait la chaleur de son attachement. Il lui avait caressé la joue ! « Notre amitié est fidèle et remplie d'affection ! » se dit-elle gaiement en saisissant plusieurs assiettes.

Elle suivit ses collègues dans le couloir pour rapporter la vaisselle en cuisine. Tout à coup, elles furent arrêtées par les cris épouvantés d'un homme enfermé dans une pièce. Anna reconnut la voix de Nicolas. Un frisson la parcourut. Personne ne voulut rester une seconde de plus dans l'embarras et les filles reprirent leur chemin d'un pas rapide.

À sa grande surprise, Anna vit Nicolas apparaitre accompagné de plusieurs médecins. Ses vêtements étaient débrayés et son corps transpirait. À bout de force, il avait besoin de l'assistance de deux hommes pour l'aider à marcher. Elle eut un coup au cœur. Lorsqu'elle rencontra ses yeux, il lui fut impossible de détourner les siens. Quel pauvre homme ! Son visage affligé par la douleur avait un air déplorable comme un soldat qui périssait sous les coups, mais qui se refusait d'arrêter le combat.

Anna se sentit embarrassée de devoir faire face à cette image terrifiante d'un aristocrate qui avait tout perdu. Elle ne voulait surtout pas qu'il lise la pitié dans ses yeux. Au moment où elle lui fit comprendre qu'elle comptait partir, il la retint par le bras.

- Merci, dit-il, la respiration sifflante. J'ai suivi vos conseils. Il me tarde de vivre à nouveau. J'ai commandé ses docteurs pour m'aider à retrouver la mémoire.

Sa voix était à peine plus élevée qu'un murmure. Anna observa avec inquiétude les contours fatigués de son visage et ses yeux dilatés et malades.

- Pourquoi êtes-vous dans cet état, Monsieur ? Vous a-t-on fait du mal ?

Elle eut soudain peur d'apprendre quelque chose de grave.

- J'expérimente une méthode de sudation. Elle consiste à me mettre dans une pièce très chaude où l'oxygène est rare. Ces médecins me recommandent de respirer dans ces conditions pour me provoquer une hyperventilation. Apparemment, lorsque j'atteins un état de transe, les parties inconscientes de mon esprit peuvent refaire surface. Je saurai bientôt qui je suis. Je n'ai plus envie.. je n'ai plus envie d'être un homme à terre.

- Monsieur, tout est de ma faute ! Je ne veux pas vous voir souffrir davantage ! Vous ne méritez pas cet horrible traitement !

Épuisé et haletant, il avait du mal à rester debout face à elle, mais il prit un temps précieux pour lui adresser quelques dernières paroles.

- Écoutez-moi. Je suis un misérable. Et si quelqu'un sur cette terre a encore bien voulu m'accueillir les bras ouverts, c'est vous.

- Mais...

Le fabuleux destin d'AnnaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant