Chapitre 53 : Clair-obscur

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Clair-obscur.

Dans la pénombre de la chambre, un filet de lumière traversait le visage de Nicolas qui se tenait près des fenêtres, où les rideaux étaient tirés.

Anna n'avait aucune idée de ce qu'il lui voulait, car elle n'avait jamais pu le voir sans la permission de madame de Monseuil. D'ordinaire, il faisait nuit. D'ordinaire, elle se présentait en robe de chambre, une tenue choisie par la dame avec soin. Mais ce temps semblait révolu depuis que Nicolas avait retrouvé la mémoire. Sous les décombres du passé, un homme s'était redressé, et il se tenait là, debout, face à elle. Il avait redécouvert la parole, celle qui décide et qui soumet la volonté. En quelques mots, il n'avait pas juste amené Anna dans sa chambre, il avait montré à son épouse qu'il avait repris des forces et qu'il était décidé à l'écarter de sa vie.

Anna connaissait Nicolas seul et tourmenté, assis derrière un tableau en train de peindre un piano ou affalé sur un fauteuil près du feu, déchiré face aux cendres de son passé. Isolé du reste du monde, le Rossignol ne chantait plus, il avait perdu la mélodie, l'éclat et l'innocence. Pourquoi avait-il cessé d'être le Rossignol ? Quel mal avait atteint la sève de son être ?

Dès leur première rencontre, Anna avait lu dans ses yeux le poids de sa torture, car il existe des hommes qui ne portent aucune trace apparente de coups et pourtant la peau de leur cœur est déchirée par des plaies profondes qui suppurent encore sans que le baume du temps ait pu les apaiser. Elle avait souhaité qu'il recouvre la mémoire pour voir disparaitre cette tristesse qui l'avait enseveli.

Mais, elle ne s'était jamais préparée à ça : déshabillez-vous.

Elle l'avait à peine reconnu. Il ne s'agissait plus du même homme : celui qui résistait courageusement à la présence d'un autre que lui dans la même pièce, celui dont elle ne lisait plus l'étincelle d'un avenir dans les yeux, car la souffrance avait pris le dessus dans son cœur, celui qui parlait d'une voix hésitante et qui fixait son regard sur rien, quand bien même qu'il serait présenté à la plus belle femme du monde.

Déshabillez-vous.

Cette voix là, froide et métallique, venait d'un homme détaché de ses émotions. Anna ne voulait plus jamais y penser ; elle avait tout fait pour chasser les images de cette nuit, mais le visage incliné de Nicolas sur son corps nu, revenait sans cesse la hanter. Exposée à son regard, elle s'était sentie affaiblie, elle était tombée dans la boue de la pauvreté et elle y avait mélangé le cœur de Georges.

Nicolas fit quelques pas en avant, suffisamment pour sortir du rayon de lumière. La pénombre dévora peu à peu les contours de son corps fragile. Les cheveux longs et sombres qui encadraient son visage anguleux tombaient comme deux rideaux de pluie jusqu'au nœud flottant de sa cravate lavallière. Ce n'est qu'après un instant, qu'il pensa à relever sa mine fatiguée.

Il fixa Anna avec des yeux globuleux comme s'il était resté toute sa vie en état de choc.

- Bon... Bonjour, bégaya-t-il.

Nicolas était redevenu lui-même. Anna sentit son cœur frapper dans sa poitrine, sous le mélange de la peur et de la colère. Comment pouvait-il redevenir maintenant l'homme maladif et vulnérable à qui elle avait donné sa confiance et sa pitié ? Elle lui en voulait et elle n'avait qu'une seule envie : ne pas le croire.

Qui était Nicolas ? Un aristocrate tourmenté, dépossédé d'héritage qui vivait sous la domination de son frère et de son épouse ? Était-il devenu fragile à cause de Georges comme il le prétendait ? Georges l'avait-il poussé dans la rivière du Diable ?

Anna contracta la mâchoire. Toutes les pièces du puzzle se situaient dans sa mémoire pour comprendre cette énigme et s'il continuait à jouer l'ancien Nicolas, il ne lui dirait rien du tout.

Le fabuleux destin d'AnnaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant