Chapitre 26 : De l'orage dans l'air

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- Elle est encore là.

- Où ?

- La fille rousse à côté de Pierre ! Tu es bête ou tu le fais exprès ?

- Elle est belle !

- C'est bien la première fois qu'une fille vient aussi souvent dans les écuries !

- Approche là, va lui dire bonjour !

- Non, toi vas-y !

Anna entendait des voix murmurer et rire dans son dos, mais continuait de caresser la crinière de Lumière, une jument de petite taille, qui mangeait son foin. Pendant ce temps, Pierre bougeait dans tous les sens à côté d'elle pour préparer leur sortie en pleine nature. Le temps orageux ne se prêtait pas à une grande balade, mais il voulut faire plaisir à Anna qui ne rêvait que de prendre l'air. Lui aussi faisait semblant de ne rien entendre. Pierre ajusta le bridon qu'il passa à la tête de la jument pour maintenir le mors en place dans la bouche. Puis, il se faufila habilement sous l'encolure et inspecta une dernière fois les sabots.

- Lumière n'est pas sortie depuis longtemps. Je devais aller la promener, mais on a eu beaucoup de travail aujourd'hui alors je n'ai pas pu la sortir. Elle t'attendait Anna !

- J'aime bien son nom, tu crois qu'elle s'appelle Lumière, car elle est très intelligente ?

Pierre leva la tête du sabot qu'il inspectait :

- Je ne sais pas. Elle appartient à Marie de Monseuil, la sœur de Georges de Monseuil, mais elle ne la monte jamais. Apparemment, elle ne va jamais la voir non plus.

- C'est une fille très gentille, répliqua Anna pour prendre sa défense. Elle ne met pas son nez dans les écuries parce qu'elle n'a surement pas envie de se salir ou parce qu'elle aurait du mal à s'amuser toute seule.

- Tu la connais un peu ?

- Je l'ai rencontrée, oui. Elle est drôle ! Je pense qu'elle rêve de prendre l'air, elle aussi, loin de la Grande Demeure, car elle doit se sentir seule..

- Toi, tu n'as pas l'air seule, piailla une voix derrière le panneau de bois qui séparait l'enclôt.

- Moi aussi, je peux te tenir compagnie, ricana quelqu'un d'autre.

La petite remarque fit rire aux éclats la bande de garnements. Anna décocha un regard assassin dans leur direction et se répéta intérieurement qu'il ferait mieux de ne pas se montrer.

Pierre secoua la tête tout en soupirant.

- Ne fais pas attention à eux, ce sont des garçons d'écurie, murmura-t-il.

Il se sentit accablé par le fardeau d'être en leur compagnie.

Son cœur exprimait l'envie d'être l'homme protecteur. Il s'imagina les mettre au défi de prononcer un mot de plus contre sa protégée, mais il s'en sentait incapable. Pour l'unique raison, qu'il avait toujours été une proie facile à la moquerie ! Lorsqu'il était plus jeune, il trainait avec une bande qui le frappait sur l'épaule pour lui dire bonjour et le faisait boire par force : « Eh le piot ! Tu bois comme une fille ! » On ne le laissait pas tranquille. Mais Anna l'avait protégé. Un jour, alors qu'ils mendiaient dans la rue, ces mauvais copains leur lancèrent des pièces qu'il ramassa aussitôt, la tête baissée, alors qu'Anna leur lança au visage tout le gravier qu'elle réussit à prendre dans son poing. Silencieusement, il l'avait toujours contemplée et admirée. C'était elle, la courageuse, qui brillait comme de l'or dans cette pauvreté.

- Regarde mieux par là ! Psst !

Ils se levèrent sur la pointe des pieds pour la voir par-dessus la planche en bois.

Le fabuleux destin d'AnnaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant