Chapitre 5 : Jeu de hasard

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- C'est moi Anna ! dit-elle en échappant un rire.

Son Jérémie la scruta du regard, suspicieux, sans laisser le moindre détail de son visage échapper à son inspection. Son expression sérieuse devenait dure et froide comme le marbre.

- Arrête de me regarder comme ça, tu vas finir par me mettre mal à l'aise ! Je sais que Sophie t'a tout raconté. Je ne compte pas en faire une montagne, tu sais ! Et puis tu en as vu d'autres !

Les deux jeunes en face d'elle ne comprenaient rien à la situation et marquèrent un silence, horriblement gênés. Puis comme s'ils avaient peur de dire quoi que ce soit, ils inspectèrent une réponse venant de leur compagnon assis à côté d'Anna. Calmement, dans un silence contenu, un sourire amusé se dessina sur ses lèvres. Pour Anna, cette retenue austère venait du fait qu'ils venaient à peine de se rencontrer, mais à aucun moment elle ne se sentait avec un étranger. Elle n'éprouvait pas ce sentiment d'insécurité. Les amis de Sophie étaient ses amis ! Sa simplicité naturelle lui ouvrait déjà la porte de sa confiance.

- Oh, mais vous étiez en train de jouer aux cartes ? J'adore, je gagne tout le temps ! Et tu mises de l'argent ?

Son Jérémie acquiesça, tout en la dévisageant toujours intrigué.

- Mais à deux contre un, ce n'est pas juste ! Ils sont partis pour te plumer ! Je fais équipe avec toi, tu vas voir ces deux-là n'ont aucune chance de te battre, on va gagner !

Pour le détendre, Anna le taquina en lui pinçant le bras.

- Je vais devenir ton atout, dit-elle joyeuse en s'emparant des cartes pour les battre.

L'homme prit une gorgée de son verre et se retint de rire. Sa froideur se dissipait peu à peu face au burlesque de la situation. Personne ne lui avait témoigné autant de familiarité !

Son regard sombre en amande continuait de la capturer par image : ses longs doigts fins qui remuaient les cartes, ses épaules frêles prisonnières des manches bouffantes, ses grands yeux verts épanouis par une gaieté naturelle, la peau lisse de son visage, et ses lèvres bien dessinées. Cette jeune Anna mouvait pleine de vie à ses côtés avec un naturel déconcertant. Il examina sa robe et la jugea vieillotte, qui portait ce genre d'antiquité maintenant ? Pendant qu'elle parlait avec vigueur des règles du tarot, il remarqua qu'elle se passa la main sous le nez pour s'essuyer rapidement, puis elle se pencha un peu trop en avant pour se faire mieux entendre des deux jeunes en face. Pff, échappa-t-il comme un murmure. C'était risible.

Anna n'usait pas des formalités d'élégance à respecter : elle jeta les cartes avec force sur la table. La partie était lancée et Anna, euphorique qui se rappelait les temps où elle jouait avec son ami d'enfance Pierre, maniait très bien le jeu. Combien de fois, avait-elle étalé des cartes sur le sol avec les amis de la rue ? Pourtant ce jeu était neuf. À chaque fois, qu'elle l'interpellait : « Jérémie, attends, pourquoi tu poses maintenant ton valet ? », « Tu joues sans réfléchir ! C'est sérieux concentre toi, tu as misé ! » il était partagé entre l'envie de la reprendre pour lui interdire sa familiarité et de la découvrir un peu plus. Finalement, il laissa faire pour ne rien toucher à la scène qui se déroulait sous ses yeux. Juste l'étudier avec attention, comme elle se présentait devant lui, avec ces mouvements mal habiles et cette façon trop libre et inconvenante de lui parler.

Il était ridicule de prendre un air boudeur, car la bonne société maitrisait ses humeurs, pourtant Anna, encore une fois très éloignée de cette éducation, s'insurgea à la fin d'une manche, comme une mauvaise perdante :

- Vous avez triché ! C'est à nous !

Elle essaya de saisir les jetons de la mise, mais une main ferme l'arrêta. Il la captura dans la sienne en la resserrant un peu.

Le fabuleux destin d'AnnaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant