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Gabriel regardait la mer, le visage face au vent. Le ciel grisâtre n'empêchait en rien le spectacle qui se déroulait sous ses yeux d'être enivrant. Il n'en perdait jamais une miette, cela lui mettait du baume au cœur quand il sentait que l'étau de la vie se resserrait autour de lui.

Cela faisait presque un an qu'il venait régulièrement sur la plage pour ne plus réfléchir, simplement respirer. Il se rendait toujours sur ce même rivage si paisible. Cet endroit n'était pas loin de tout, mais il avait ce charme, ce petit plus qui lui plaisait. Il avait commencé par s'y rendre de nuit pour y être plus tranquille car il y avait bien moins de monde, puis de journée, surtout l'hiver. Il avait pris quelques jours de congé afin de se reposer un peu. L'année qui venait de s'écouler avait été intense. Il avait dû s'occuper de ses frères plus souvent que prévu et de sa mère. Le décès de son père lui avait fait beaucoup de mal et elle sombrait petit à petit dans une profonde dépression. Il prenait du temps pour sa famille et s'oubliait peu à peu. Les jumeaux étaient de plus en plus durs avec leur mère et plus les années passaient, plus ils en voulaient à Julia et à leur frère pour la mort de leur père. Comme si l'aîné aurait pu faire quelque chose de plus. Ils n'avaient pas été envoyés sur la même intervention et Gabriel estimait qu'il s'en voulait suffisamment pour au moins dix personnes. Il aurait aimé sauver son père, lui dire de se reposer, de rentrer à la maison et qu'il prenait le relais avec d'autres collègues, mais la ville avait eu besoin de lui sur d'autres urgences. Et aujourd'hui, il était toujours dans cette même caserne à vivre dans l'ombre de son père, du héros qu'il était et de son acte de bravoure. C'était du moins ce que les gens voyaient. Lui, il ne voyait que sa vie sans lui. Une vie insipide.

Le pompier marchait tranquillement sur le sable froid du mois de février. Quelques personnes peu frileuses se baignaient. Ils s'entraînaient sans doute pour le triathlon. C'était la meilleure excuse que pouvait leur trouver Gabriel. Qui irait nager par des températures si froides sinon ?

Gabriel aimait la plage en hiver, elle avait ce petit plus. En cette période, le vent était trop frais et l'eau trop froide. Les villes sur la côte étaient comme figées dans le temps et si certains trouvaient cela triste et maussade, Gaby pensait que la ville retrouvait son calme et son repos. Ce dernier aurait aimé souffler quelques paroles à son père, comme il avait pris l'habitude de le faire. Il lui racontait tout: ses déceptions amoureuses -bien que cette dernière année, il ait décidé de mettre tout cela de côté-, ses crises d'angoisse, ses peines, ses pleurs. Aussi ses joies, Alice qui s'était fiancée à Raphaël. Le futur marié avait ouvert son propre centre de sport spécialisé dans le CrossFit, le sport préféré de Gabriel. Les bons moments étaient moins présents, mais ils étaient là quand même. Le bonheur apporte le bonheur, disait Tom PODIL, son père. Et il se devait d'essayer au maximum.

Il était sur le point de mettre ses écouteurs et de commencer une course à pied en guise d'échauffement quand un hurlement dans son oreille le fit tressaillir. Il fallait être dingue pour pousser un tel cri !

— Appelez les secours !

Une femme s'époumonait en désignant l'eau froide de son index. Au bout de son doigt, un homme se débattait dans les vagues, sans doute à bout de force. La scène fit froid dans le dos à Gabriel, il en avait vu des choses, mais la plupart du temps, il arrivait après, pas pendant.

Le pompier ne perdit pas de temps, sa profession prenant le dessus. Il laissa tomber ses effets personnels sur le sable et courut jusqu'à l'eau dans laquelle il plongea sans prêter attention aux gens autour. La morsure du froid le fit grincer des dents. Il devait rester en mouvement pour ne pas devenir un glaçon et tomber en hypothermie. Il nagea de toutes ses forces, à contre-courant, jusqu'à cette personne qui avait cessé de se débattre. Le froid et le manque d'énergie avaient eu raison de lui. Gabriel ne s'arrêta pas et continua sa nage jusqu'à l'endroit où il l'avait vu pour la dernière fois. Il ne perçut rien d'autre que les battements de son cœur, comme si le monde s'était arrêté et qu'il était seul dans l'eau. Il pensa fort à sa famille, priant pour rentrer à la maison ce soir. Il prit une bouffée d'air et s'immergea afin d'attraper l'homme et de le remonter à la surface. Il battit des mains afin de tenter de toucher quelque chose, de trouver le nageur. L'eau était trouble et il lui était impossible de distinguer quelque chose. L'air commençait à lui manquer, ses yeux le brûlaient et la sensation d'échec le prit à la gorge. S'il ne sortait pas cet inconnu de là dans les secondes à venir, il mourrait et il se sentirait coupable de ne pas avoir réussi à le sauver. De son incompétence, de sa réactivité trop lente. Comme si le ciel avait entendu ses pensées, sa main toucha quelque chose qu'il identifia comme un bras. Il attrapa fermement le membre et il tira aussi fort qu'il put jusqu'à lui. Il tenta de les remonter tous les deux à la surface. La brûlure du manque d'air était atroce, mais il ne lâcha rien. Il continua machinalement à faire son travail, à sauver l'homme. Le courant étant enfin de son côté, il fut plus simple pour lui de rejoindre le rivage. Il posa le nageur sur le sable et chercha un pouls, mais ne trouva rien.

FRELSEROù les histoires vivent. Découvrez maintenant