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Alice l'attendait déjà à leur table, vêtue d'une jolie robe à pois et d'escarpins. Elle savait toujours se montrer coquette. Ses cheveux bruns coiffés en un chignon défait et ses yeux verts entourés d'un liner noir, elle scrutait son téléphone, cherchant un message de la part de Gabriel. Il arrivait que le jeune homme puisse lui poser des lapins et elle le redoutait. Gabriel remarque l'absence du fiancé de la jeune femme, Raphael. Il en voulait sans doute encore au pompier pour ces semaines de silence. Gabriel retournerait à la salle afin de pouvoir lui parler, de s'excuser.

Le restaurant se trouvait en bord de mer. L'étendue d'eau faisait tout son charme et les gens aimaient venir ici, surtout Alice et Gabriel. Au fil des années, le propriétaire avait appris à connaître par cœur les commandes des deux amis. Ils venaient ici depuis leurs seize ans. D'abord en couple, puis comme un point de repère pour l'un et l'autre. Les fauteuils noirs et les tables jaunes n'avaient pas changé. Le même papier peint blanc et bleu pour rappeler le ciel. Gabriel se sentait bien ici, l'endroit apaisait son cœur. Quand Alice l'aperçut, son expression s'illumina et elle se leva, prête à le prendre dans ses bras.

— Gaby !

— Salut Alice.

Elle se jeta contre lui et le serra plus fort que ce dont il l'imaginait capable. Cela faisait trop longtemps qu'il n'avait pas senti ses bras autour de son corps et son parfum si singulier. Il était fruité et il lui faisait penser à une journée d'été. Alice était comme ce restaurant. Un endroit calme et rassurant sur Terre. Il pourrait la garder contre lui une éternité, sans se rendre compte du temps qui passe.

— Comment tu vas ? demanda-t-elle en s'écartant pour l'examiner de la tête aux pieds.

— Super bien, cette journée à la caserne m'a fait beaucoup de bien, je me sens inarrêtable et toi ?

Bien-sûr, à l'instar de John, elle ne s'y trompait pas. Ce discours, elle l'entendait tous les mois et à chaque fois, c'était la même chose. Gabriel se sentait mieux, mais cela ne durait que quelques heures, quelques jours tout au plus. Puis, il se retrancherait chez lui et dans le travail, les coupant de sa vie. Elle aurait aimé prendre sa peine et le laisser dans cet état de félicité et d'euphorie, mais elle en était incapable. Alors, elle se contentait d'être là quand il en avait le plus besoin. Elle ne doutait pas que sa présence était toujours appréciée par le pompier. Il ne parlait pas beaucoup quand il s'agissait de ses sentiments, mais elle le savait, elle le connaissait mieux que n'importe qui d'autre. Les gestes valent davantage que des mots pour Alice.

Gabriel alternait son regard entre la jeune femme et les vagues. Il lui souriait, avec le sourire qu'il avait quand ils étaient enfants et adolescents. Ce geste, elle le voyait de moins en moins alors qu'à ses yeux, il s'agissait de la plus belle chose qu'elle connaissait sur cette Terre. La seule façon de voir les petites fossettes que possédait Gabriel. À l'époque, cela avait fait craquer Alice. Ces fossettes et son empathie. Et bien-sûr, sa beauté physique. Il ne servait à rien de se mentir sur ce point.

La jeune femme s'en voulait tellement de l'avoir laissé tomber pendant un moment. De ne pas avoir été là quand il le fallait. Leur rupture, même si c'était sa volonté, lui avait fait du mal. Elle avait l'impression de s'être trompée sur toute la ligne. Elle pensait que Gabriel et elle seraient ensemble pour toujours et elle s'était leurrée. C'était dur de le concevoir pour quelqu'un qui adorait programmer sa vie en détail.

Ils étaient tant occupés par leurs pensées, qu'ils ne virent pas le propriétaire des lieux arriver vers eux.

— Bonjour les jeunes, ça faisait longtemps que je ne vous avais pas vu ici ! Comme d'habitude ? demanda Patrick, se ressuyant les mains sur son habituel tablier noir.

FRELSEROù les histoires vivent. Découvrez maintenant