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Julia avait les yeux fixés vers le jardin. Un jardin auquel elle n'avait pas encore le droit. Elle voyait des familles s'y réunir, parler, rire. Elle, elle espérait encore que ça se produise. Gabriel finirait par prendre de ses nouvelles, n'est-ce pas ? Malgré son geste, huit jours plus tôt, elle ne pouvait s'empêcher de s'inquiéter pour ses enfants. Sur le moment, elle n'y avait pas pensé et elle estimait avoir eu une pensée égoïste. Elle s'était sentie dépassée par sa vie, par ses enfants. La mort de Tom, son mari, l'avait anéanti. Il était son rayon de soleil, la douceur dans son existence. Elle n'aurait aimé que lui toute sa vie, elle le savait. Il était son âme-sœur, mais elle n'avait rien voulu montrer. Elle avait souhaité être forte pour ses trois garçons, surtout pour Gabriel qui lui-même s'était laissé envahir par sa propre dépression. Elle n'avait pas voulu alarmer son aîné. Il devait d'abord penser à lui, à sa santé. Puis les jumeaux avaient mis leurs grains de sel. Ils faisaient face au deuil trop tôt et avec leurs propres armes. Gabriel ne voulait plus aimer, plus vivre, Julia se sentait vide et les jumeaux, eux, n'avaient que la colère. L'institutrice n'avait pourtant pas hésité à proposer un psychologue pour ses enfants, mais Gabriel avait refusé et les cadets pensaient que si Gabriel n'en avait pas besoin, eux non plus. Même s'ils en voulaient à tout le monde, Gabriel restait leur modèle, le pompier ne s'en apercevait tout simplement pas, trop préoccupé à essayer de ne pas se noyer.

— Julia, l'appela Stéphane, un infirmier. Tu dois prendre tes médicaments et tu as rendez-vous avec ton psychologue. Tu te souviens ?

La mère de famille se tourna vers cet homme. Il lui rappelait son fils. Il avait les cheveux bouclés lui aussi, mais ils étaient châtains et ses yeux étaient marrons. Il devait avoir vingt ans tout au plus. Il était celui à qui elle s'était le plus confiée depuis son arrivée dans le centre et Stéphane la laisser faire. Cette femme avait juste été forte trop longtemps. Elle avait craqué et il ne la jugeait pas. Stéphane était souriant, tout le temps et c'était là, la différence avec Gabriel. Julia n'avait pas vu un visage aussi lumineux depuis longtemps. Ce garçon semblait heureux dans sa vie. Elle n'en savait rien, il ne faisait qu'écouter sans rien sur lui.

— C'est obligatoire le psy ?

— Oui, tu le sais bien. Si tu ne suis pas tes rendez-vous correctement, ils te supprimeront les visites.

— Personne ne vient de toute façon...

— Il viendra Julia, laisse-lui le temps de s'en remettre aussi. Tes enfants t'aiment.

Elle en doutait, mais elle ne voulait pas risquer de louper la visite de son plus grand bébé. Les jumeaux viendraient aussi prochainement. Elle avait eu le droit de les appeler avant qu'ils ne soient placés dans une famille d'accueil. Julia avait demandé si leur comportement était exemplaire, s'inquiétant encore pour les autres. Toni, la femme qui les avait à sa charge pour le moment, lui avait assuré que ces deux petits étaient des angelots. La mère de famille s'était sentie encore plus coupable. Qu'avait-elle raté dans leur éducation pour qu'ils ne la haïssent ? Samuel et Lucas l'avaient rassuré. Ils pleuraient, s'excusant encore et encore au téléphone, promettant à leur maman d'être sages si elle venait les chercher. Elle aussi avait lâché un torrent de larmes. Ils avaient aussi demandé après Gabriel et Julia n'avait pas su quoi leur dire. Elle avait raccroché et ses fils lui avait promis qu'ils l'appelleraient tous les jours et ils tenaient parole pour le moment, mais ils finiraient par ne plus le faire. Elle s'en voulait, elle allait louper les grandes vacances, la rentrée des classes, si par miracle, elle rentrait avant Noël, ce serait merveilleux. Mais, le psychologue avait été très honnête, il lui faudrait du temps.

— Allez Julia, tu vas être en retard.

Elle se leva finalement, jeta un dernier regard vers le jardin et soupira. Stéphane la conduisit jusqu'à ce bureau qu'elle n'aimait pas. Elle n'avait pas envie de parler plus que cela de l'erreur qu'elle avait commise.

FRELSEROù les histoires vivent. Découvrez maintenant