2

21 7 0
                                    

Basile Granfier portait admirablement le costume. Gilet sous la veste, mocassins vernis, cravate mosaïque... Il ne laissait rien au hasard. Son dressing ne pouvait d'ailleurs libérer que peu de place aux vêtements plus décontractés. Pour lui, avoir la classe était un mode de vie, une religion.

Pour assurer le renouvellement permanent de ses tenues – il ne fallait pas mettre un même costume deux jours de suite -, il fréquentait régulièrement les magasins de la zone commerciale d'Hénin-Beaumont, près de Lens, où il résidait et travaillait. Conseiller dans une banque, ses collègues l'appelaient le dandy. Certains clients préféraient le prince ou l'aristo. D'autre lui attribuaient le sobriquet de « péteux ». Il ne faisait guère attention à ces derniers. Ils étaient simplement jaloux, dans leurs survêtements défraichis. Il les imaginait au stade Bollaert, hurler comme des furieux, débraillés. Pour lui, c'était une petite victoire de les croiser dans les galeries marchandes, où tout le personnel le connaissait. Le contact facile, il y discutait avec tout le monde. Il se trouvait sympathique et élégant. Les vendeurs, entre eux, disaient plutôt "ridicule mais gentil".

Un soir, en revenant de l'une de ses boutiques préférées, il décida de pousser un peu plus loin et de traverser le pont sur l'autoroute. De l'autre côté de l'A1 se trouvaient, parait-il, d'autres enseignes. Il sifflotait, vitre ouverte, au volant de sa Mini Countryman. Arrivé au milieu du viaduc, il sentit comme une vibration. Une forte lumière passa au-dessus de lui. La chaleur était intense. Il ne comprit pas ce qui était arrivé. Ça avait duré à peine quelques secondes. Il entendit un grand choc. Sa voiture, qu'il entretenait avec amour, se retrouva pleine de poussière. Ses vêtements, complètement sales et défaits. Un coup d'œil dans le rétroviseur le fit sursauter. Il avait la figure tâchée et les cheveux en désordre.

Basile fixa sa propre image quelques secondes, soupira, et redémarra son véhicule. Il alla faire demi-tour au premier rond-point et retourna sur la zone commerciale. Il ne pouvait décemment pas se promener dans un équipage aussi dégoutant. De plus, son commerçant préféré avait lancé une opération spéciale sur les costumes trois pièces. Il allait juste devoir faire de la place dans son dressing. Et pourquoi pas déménager pour un appartement plus grand ?


PrémicesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant