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    Le frère Pierrick avait couru autant qu'il le pouvait. Il n'avait jamais été un grand sportif. Ses plus grands exploits se résumaient, lorsqu'il était écolier, à rejoindre rapidement la classe après avoir été exclu du cours de sport. Aussi, quelle idée de vouloir faire grimper à la corde un enfant de huit ans atteignant presque un demi-quintal. Il en avait gardé des souvenirs douloureux pour son arrière train, et une certaine haine pour l'instrument de chanvre que quelques années dans un monastère n'avaient pas réussi à gommer.

Dans l'abbaye, nombreux furent les moines surpris par l'état de leur frère qui se précipitait vers le bureau du père abbé. Le saint homme ne s'y trouvait pas. Aussi Pierrick se dirigea-t-il tout soufflant vers le jardin. Il y trouva le père François qui s'inquiéta immédiatement.

— Que vous arrive-t-il, mon fils ?

— Mon père, j'ai vu...

Et il soufflait de plus belle.

— Eh bien ? Remettez-vous. Calmez-vous.

Pierrick reprit peu à peu son souffle. L'abbé lui sourit.

— Maintenant, dites-moi ce que vous avez vu.

— Des hommes de l'espace, mon père ! Enfin, leur vaisseau !

Un moine qui cueillait des roses à deux mètres d'eux pouffa.

— M'est avis que notre bon frère Pierrick a encore abusé de notre production, mon père.

— S'il vous plaît, frère Aeldbert, ne jugez pas. Laissez-le parler.

— Je vous jure que je suis sobre, mon père.

— Ne jurez pas. Expliquez-moi. Depuis le début.

Pierrick se concentra.

— Eh bien, comme le temps est agréable, je me suis dit que je pouvais aller faire un tour en forêt...

Il raconta par le menu son aventure précédente. Après son récit, le père abbé le regarda avec un brin de soupçon.

— Et avant, n'êtes-vous pas passé à la brasserie ?

— Certes, mais je...

— Pierrick ! coupa le père François. Suivez-moi !

L'autre moine les regarda partir avec condescendance et se remit à la taille du rosier. L'abbé emmena son disciple dans son bureau et le fit asseoir. Le frère Pierrick n'en menait pas large. Le lieu impressionnait les moines, qui ne s'en approchaient qu'avec respect.

— Mon fils, la situation ne peut plus durer. La bière que nous produisons est destinée à nos ouailles, pas à nos moines.

— Mais mon père, je vous assure...

— Soit votre comportement change, soit je vais devoir demander votre transfert.

Le frère Pierrick pâlit. Il n'avait jamais pensé que quitter l'abbaye fut possible. Voyant sa réaction, l'abbé se radoucit.

— Rassurez-vous, nous n'en sommes pas là. J'ai confiance en...

La sonnerie du téléphone retentit. L'abbé décrocha. Au fur et à mesure qu'il écoutait, ses sourcils se froncèrent.

— Je crois qu'il est avec moi, répondit-il à une question du combiné téléphonique.

Il acquiesça et raccrocha. Pierrick se demandait ce qui pouvait encore lui tomber dessus.

— Où avez-vous vu ce soi-disant vaisseau ?

— Dans la forêt, près de la colline.

— Mon fils, je ne sais pas ce que vous avez vu, mais les autorités veulent vous parler. Ils seront là dans deux heures. Je compte sur votre franchise.

Pierrick était dépité. Le père François se leva et lui posa la main sur l'épaule.

— Ne vous inquiétez pas, je serai avec vous pendant l'interrogatoire. Et après tout, vous n'êtes coupable de rien.

Ces paroles ne rassurèrent guère le frère. Il se demandait pourquoi il n'était pas resté boire tranquillement une chope dans l'arrière-boutique de la brasserie au lieu de vouloir profiter de la nature.


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