Quand José a dit qu'il irait bien voir la finale de la Superlega directement sur place, j'ai décidé de m'incruster.
Il y a deux raisons à ça. La première, c'est que si je veux vivre en Italie l'année prochaine, c'est peut-être une chance de me faire quelques contacts, même si je me doute bien que José va me surveiller étroitement et ne manquera pas de me mettre des bâtons dans les roues s'il persiste à vouloir me garder à San Juan. Mais tant pis. J'essaie. Même si Tobio me fait encore la tête, je suis sûr que ce geste symbolique de quitter la ligue argentine sera reçu comme un signe que je veux m'engager avec lui et que je tiens mes promesses.
La deuxième raison est un peu moins louable. Depuis mon retour du Japon en janvier, j'ai décidé de me rapprocher à nouveau de José après notre longue période de froid. Alors non, je ne lui ai pas pardonné d'avoir ruiné ce qui aurait dû être les plus belles années de ma vie, je ne lui ai pas pardonné d'avoir entraîné la rupture avec Tobio, de m'avoir fait renoncer au Japon, de vouloir m'empêcher de quitter l'Argentine, de m'avoir utilisé pour son plaisir comme un outil, un pur instrument... Je ne lui ai pas pardonné de m'avoir brisé le cœur et mon estime de moi en mille morceaux. Et je compte bien me venger. Maintenant que j'ai les informations compromettantes que j'attendais, celles qui pourraient l'exposer au monde entier comme un ignoble pédophile et un manipulateur, je n'ai plus qu'à allumer la petite étincelle qui fera tout exploser. Et pour la créer, il faut qu'il me fasse assez confiance pour que de petites confidences, au préalable bien orientées, puissent lui échapper...
Alors je suis là, je le mets dans les bonnes conditions. Je feins de passer du bon temps avec lui, de vouloir rester dans son club par gratitude, d'être redevenu le petit Tooru naïf dont le plus grand rêve était d'être reconnu à sa juste valeur par celui qui était son héros d'enfance. Et il semble apprécier -on n'a pas recouché ensemble, mais il se permet de nouveau ses petits gestes de propriétaire, quelques doigts qui traînent sur ma joue ou sur mon genou, de petits regards qu'un strict cadre professionnel n'autoriserait pas. Comme une araignée qui tisse sa toile, je l'enveloppe d'une compagnie plaisante qu'il ne refuse pas et semble même accepter plus volontiers qu'à l'époque. Parce que je lui ai manqué, parce qu'il s'est rendu compte de ma valeur ? Ou peut-être parce qu'il se sent seul ?
Bref, j'ai pris l'avion avec lui. Il a réservé une chambre dans un hôtel luxueux, retrouvant ses vieilles habitudes :
-Mais si, Tooru, je t'invite.
Il m'invitait surtout dans l'unique lit de la chambre, mais j'ai réussi à esquiver ses avances hier soir et j'ai dormi en paix. Quand je me suis réveillé, à l'aube, je l'ai écouté respirer paisiblement et j'ai médité tout le plaisir que j'aurai à ruiner son existence avant de partir jouer en Italie et tout recommencer là-bas. Enfin, sous réserve que les choses s'améliorent avec Tobio.
Ce soir sera peut-être l'occasion tout à l'heure, au bar, puisque nous voilà réunis ici, si loin de chez nous, par un coup du sort. Je réfléchis à ce que je vais lui dire tandis que je regarde sans le voir le match se dérouler sous mes yeux -et il s'éternise, on va sur un tie-break. Les joueurs présents sont tous exceptionnels, mais moi, il n'y en a qu'un qui attire mon regard, et il n'est pas sur le terrain, il est assis trois rangs devant moi. J'entends les rugissements et les applaudissements de la foule, le sifflet strident de l'arbitre, les cris des joueurs et le claquement des balles, mais c'est à peine si je lève les yeux de ces mèches d'encre où j'ai envie de passer mes doigts.
Faut pas que je foire. J'ai une chance de redresser les choses tout à l'heure, je dois être prêt.
Je le vois, je vois mon Tobio-chan se pencher vers Romero pour lui dire quelque chose ; et je vois le sourire qui étire ses lèvres, ce doux sourire qu'il m'a offert, à moi aussi, il n'y a pas si longtemps. Peut-être qu'il m'en veut d'avoir balancé la vérité sur Romero, mais ça reste de la pure vérité et ça il ne peut pas le nier. Tout ce qu'il peut me reprocher, c'est de le lui avoir dit un peu brutalement. Et puis... Il a encore des choses à apprendre sur le Brésilien qu'il croit si bien connaître, d'autres preuves de sa débauche. Mais ça... Je laisserai à José le soin de les révéler. Consciemment ou pas. Quand tout ça sera connu dans le monde entier, Tobio n'aura plus qu'à le laisser tomber. Ou Romero n'aura plus qu'à disparaître dans la honte. Les deux me vont.
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Ikaroi
FanfictionEst-ce que ça en valait la peine ? Je ne le saurai sans doute jamais. A présent, je regarde en arrière vers ma liberté perdue, et je voilà ce dont je me souviens : des sourires brillants, des corps d'athlètes, des médailles d'or et des regards de br...