Lorsque je rentre dans le garage, Ace s'affaire déjà à monter les dernières pièces de la moto. Je fronce les sourcils d'étonnement face à leur couleur noir.— Quand les as-tu repeintes ?
— J'ai reçu les peintures hier après t'avoir ramenée. Maintenant viens m'aider.
Je m'assoie sur l'établi, délaissant une fois de plus ma chaise si confortable qu'il a pris soin de me commander. Je lui passe les outils dont il a besoin et les vis encore mélangées entre elles sous ses grommellements lorsque je me trompe.
Il nous faut un peu plus d'une heure pour terminer l'assemblage de la moto avant de pouvoir admirer le résultat final. Côte à côte, on observe en silence l'engin à présent retaper entièrement.
— Tu vas l'exposer avec les autres ?
— Oui.
— Tu n'as même pas envie de l'essayer ? J'insiste.
— Si.
— Mais ?
Ses épaules s'affaissent. Ses yeux sont braqués sur l'engin quand les miens sont sur lui. J'aimerai lui ôter ce poids, l'envelopper d'une douceur infinie pour qu'il flotte dans une joie sans égale, ou tout simplement lui prendre la main afin de lui montrer mon soutien.
Mes bras restent le long de mon corps. Mes doigts se replient sur eux. Je ne fais pas le moindre mouvement vers lui car c'est ainsi entre nous et tant que sa souffrance n'est pas à son paroxysme, tant qu'il n'appelle pas à l'aide, je respecterai son espace.
— Raconte-moi, j'implore dans un filet de voix.
— Il n'y rien à dire. Tu sais déjà la plus grande partie.
— Alors explique moi de nouveau.
— J'aimais rouler à fond sur les routes, ça me détendait et en prime ça cassait les couilles à mon père car à chaque fois, je me faisais arrêter par les flics. Et bien évidemment je n'avais pas encore le permis. Mais mon père prenait le soin d'étouffer les affaires.
— Jusqu'à que tu fasses des accidents ?
Il me lance un regard en biais.
— Des accidents, rie-t-il amer, il aime exagérer les choses. Je n'en ai fait qu'un seul.
— Quand ?
Il se gratte la nuque, le regard fuyant. Je ne peux détourner mes yeux de son visage crispé qui m'attire comme un phare en pleine nuit.
— Un jour, pris d'un élan de rage contre mon frère, j'ai pris une de ses motos abandonnées dans le garage depuis sa mort et j'ai fait un accident qui a bien failli me coûter la vie. Et tu sais ? Mon père ne pouvait pas se permettre de perdre son second héritier c'est pour cela qu'il m'a interdit de rouler, les voitures comprises.
Sa voix monotone me transperce le cœur. Il est tant détaché de ses paroles qu'il semble ne pas vouloir s'y confronter. Comme si ainsi, elles ne pouvaient l'atteindre.
— Tu n'avais jamais fait de moto avant ?
— Si mon frère m'avait appris mais j'ai toujours préféré les voitures quand mon frère, lui, était fan de motos.
— Et je suppose que tu n'y as jamais retouché mise à part pour les retaper ?
Il hoche la tête pensive. C'est un moyen de se rapprocher de son frère, de combler son absence en cherchant son fantôme dans cette activité. D'après la psy c'est normal de vouloir se rapprocher d'une activité, d'un lieu, d'une personne ou d'un centre d'intérêt qui a un lien avec le défunt. Pour moi, si le choc est brutal, le deuil devient impossible, on ne peut accepter cette fatalité, ainsi on espère faire revenir le défunt, ou le revoir là où il devrait être. Et chaque jour qui passe creuse ce fossé terrible dans notre poitrine. La psy aimait dire qu'aller au garage, là où je voyais le plus souvent mon père quand il était encore de ce monde, m'aiderait à faire le deuil. Pourtant chaque fois que j'y suis, chaque soir à l'entrepôt amplifie cette douleur que je m'efforce de rejeter car je ne suis pas encore prête à accepter de grandir sans père. Alors je le sais mieux que quiconque, pour faire le deuil d'un proche, il faut d'abord le vouloir. Accepter de ne jamais revoir la personne, de ne jamais plus sentir son parfum, entendre son rire, profiter de ses étreintes est dur, voir inconcevable si cette personne était votre zone de confort, votre "safe place".
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Hasta la muerte (terminé)
RomanceEyana, connu sous le nom d'Imperious tient sa passion pour les courses illégales de son père. Mais sa mère, inquiète de la perdre elle-aussi, lui dégote un job en tant que chauffeur pour un millionnaire. Quand bien même, elle déteste cette idée, ell...