Chapitre 52 - La langue natale des géants

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Adiel


— La langue des géants n'a pas de nom. Elle n'existait pas lorsque nos ancêtres sont nés. Lors du premier pèlerinage, les géants étaient muets. Ils se comprenaient entre eux, par le corps et par l'esprit ; par auki : la puissance.

Endre avait posé devant nous un lourd bouquin et je n'y comprenais évidemment rien, mais ses doigts suivaient les runes. Ce qu'il me contait était écrit dans ce livre poussiéreux.

— Ils n'ont éprouvé le besoin de communiquer que lorsque leurs chemins ont trouvés ceux des heims, ces êtres si purs et maternels que Land avaient mis sur leur route. Alors, ils créèrent futhark : l'alphabet runique. Et c'est de là que viennent les runes qui sont données à la majorité.

Et je vis enfin l'entièreté de l'alphabet, des runes. Elles étaient aussi belles que je l'avais imaginé. Elles étaient faites de traits droits, qui ne tremblaient pas. Elles semblaient aussi fières que les géants et ce qu'elles dégageaient allaient à merveilles avec ce qu'elles incarnaient.

— Et nos mots découlèrent de ce vieil alphabet crée pour communiquer avec les heims. Des mots assemblés les uns avec les autres, avec des significations claires, mais bourrues. La langue natale n'est pas aussi élégante que la langue universelle qui permet à nous tous de nous comprendre.

Je caressai l'alphabet, sans me montrer distrait. Ses leçons étaient précieuses.

— Si l'on devait traduire nos phrases, ça donnerait « moi vouloir manger ». Il y a plus élégant, vous ne trouvez pas ?

Nous rîmes ensemble. Je ne pouvais qu'approuver. Il n'y avait là aucune beauté, mais lorsque Arjen la parlait, ou Egbert, ou n'importe lequel des géants, cela était si beau. Je ne pouvais que m'en languir lorsque je ne l'entendais pas !

— Chaque rune de l'alphabet à sa signification. Assemblée d'une certaine façon ou d'une autre, la signification peut radicalement changer. Nous allons commencer par t'apprendre chaque rune de l'alphabet runique et ensuite nous passerons à des phrases.

J'acquiesçai. J'étais prêt.

Et Endre tint parole. J'appris l'alphabet runique, ses bases, ses symboles et ses prononciations. Un jour n'aurait pas suffi pour que je les retienne tous, mais connaître les runes de mes proches était un sentiment plaisant. Je me sentais ainsi plus proche d'eux. J'appris qu'elles furent utilisées au fil des âges pour les pratiques mystiques : les divinations, là où Amma invoquait es puissances pour obtenir une réponse comme elle l'avait fait sur moi ; pour les rituels, comme mon mariage ou les morts ; pour les charmes, les bénédictions données à autrui avant un voyage, par exemple, à leur arrivée également.

C'était un sujet vaste, mais je me sentais capable de le maitriser avec du temps et de la patience. Endre était calme et il avait une façon d'apprendre qui était empreinte d'envie de partager ce qu'il connaissait. C'était certainement là le plus important. Il m'apprit que, parmi les géants, seul Amma, l'aïeule du village, pouvait apposer les runes sur les géants qui atteignaient l'âge adulte, car seule elle était capable de voir le destin qu'empruntera cet enfant. Mais elle était aussi la seule capable d'unir dans un mariage.

Cependant, lorsqu'un ou une Jötnar répondait à ce titre, c'était à nous, à moi, Jötnar, d'apposer sur les fronts des nouveaux-nés « jera », la rune du cycle et de la terre ; de bénir un tveir deyja, un duel à mort. Mon rôle ne se limitait pas seulement à attendre. Les géants attendaient de moi des actions symboliques, des mots forts. Alors, lorsque Endre mit fin à notre leçon pour aujourd'hui, je repensais à ce qu'il m'avait dit.

BJÖRSARION - LA TERRE DES GÉANTS (BL)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant