3. Marc

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— Nom d'un pistil de crocus !

Du vent, de la pluie et de l'obscurité, tout ce que j'aime. Cette période de l'année me déprime. Il fait à peine jour quand je pars de chez moi et déjà nuit quand je quitte le travail. Sans parler de ces nuages gris qui assombrissent la lumière du soleil depuis plusieurs jours. Ajoutons à tout cela le froid et les intempéries. Ce n'est pas un temps à mettre un Patachou dehors, un Marc non plus ceci dit ; à l'instar du chat de Valentin, je n'ai aucune envie de m'aventurer à l'extérieur. Malheureusement, je n'ai pas vraiment le choix.

Son éternel sourire vissé aux joues, l'humain de compagnie dudit Patachou s'équipe tranquillement, impavide quant à l'averse qui l'attend.

— Je ne comprendrais jamais comment tu peux prendre plaisir à faire du vélo par cette météo.

— C'est toujours plus agréable que de s'entasser sous terre avec une centaine d'autres personnes sentant le chien mouillé. Tu vas au studio ?

— Élémentaire mon cher Watson. Comme tous les soirs depuis... des mois.

Le temps m'échappe aussi volatile que de la fumée depuis septembre et la sortie de mon album. C'est à peine si j'ai vu passer les mois d'octobre et de novembre, pourtant décembre est bel et bien là, avec sa cargaison de décorations festives, ce qui n'est pas pour alléger mon humeur.

— Tu savais que cette citation était apocryphe ? Sherlock Holmes dit effectivement « élémentaire » et « mon cher Watson » dans l'œuvre de Sir Arthur Conan Doyle, mais jamais l'un à la suite de l'autre.

Les yeux arrondis de stupeur, je toise Valentin avec la sensation désagréable d'être un parfait idiot.

— Ta passion pour les apocryphes commence à devenir terrifiante, chuchoté-je, déclenchant son rire allègre, quoique quelque peu étouffé par son masque antipollution.

— Sur ces belles paroles, j'y vais. Je ne dois pas traîner si je veux voir Évy entre ma séance de sport et le retour de Raphaël.

— Les connaissant Liam et lui, tu as largement le temps. Ces deux-là ne savent pas ce que « quitter le travail à une heure décente » signifie.

— Ils ne travaillent plus les week-ends, c'est déjà ça, tempère-t-il.

— C'est pas faux !

L'amusement pétille dans les yeux de Valentin à cette réponse qui fait directement référence à Kaamelott*, une série que nous affectionnons tous les deux. Un rapide signe de main plus tard, je l'observe enfourcher son vélo et se frayer un chemin à travers la bruine qui n'en finit pas de tomber.

Privé de la distraction qu'il m'offrait, je ne peux plus ignorer les sourires et les regards que m'accordent à la fois mes collègues et les employés des diverses compagnies implantées dans l'immeuble. Profitant d'une accalmie plus que bienvenue, je me précipite donc vers la bouche de métro la plus proche, appréciant de redevenir un individu parmi tant d'autres, un anonyme de plus au milieu de cette marée humaine mue par le même quotidien rébarbatif que le mien : métro – boulot – dodo.

Depuis que je suis devenu une célébrité – à ma petite échelle, bien sûr – ma vie a changé, tout en restant exactement la même. Ce paradoxe déconcertant m'accompagne à chaque instant de ma journée, lorsque l'on me reconnaît dans la rue par exemple, mais le bouleversement le plus notable se manifeste sur mon lieu de travail.

Avant la sortie de l'album, mes collègues ne m'appréciaient que très peu, me collant l'étiquette du mec bizarre qu'il vaut mieux éviter ; seul Valentin a pris la peine de gratter la surface pour apprendre à me connaître vraiment. Désormais, il ne se passe pas un jour sans que l'un d'eux vienne discuter avec moi, agissant comme des amis de longue date maintenant qu'ils peuvent en tirer un bénéfice aussi quelconque que celui de pouvoir se targuer de me fréquenter.

À l'encre de nos rêvesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant