28. Marc

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Rien n'a changé. Tandis que nous remontons l'allée bordée de hêtres qui mène à la maison de mon enfance, mon pouls s'emballe, entraînant dans sa course folle la résurgence d'une myriade de souvenirs.

Je suis incapable de rester concentré, mes yeux avides de chaque détail, de chaque élément qui pourrait m'indiquer que le temps s'est écoulé, que ce que je vis est réel et non pas le fruit d'un autre de mes cauchemars.

Le grand manoir familial de style solognot est plus imposant que jamais, ses pierres blanches s'élevant sur trois étages, rehaussés d'un quatrième sous les ardoises noires de la couverture. Les nombreuses fenêtres sont quant à elles mises en valeur par leur encadrement de brique rouge que l'on retrouve également en quantité sur le toit percé de quatre cheminées. Au loin, les écuries et les dépendances se découpent en rouge sur le vert profond de la forêt privative qui s'étend sur plusieurs hectares, le tout surplombé par le bleu immaculé du ciel.

Tout ici n'est qu'un enchevêtrement de couleurs, un véritable Éden, un écrin de nature que j'ai longtemps considéré comme mon foyer. Je n'y suis plus qu'un étranger à présent.

La main de Liam sur ma cuisse me fait sursauter, me sortant de ma torpeur avec une douceur que je ne parviens pas à appréhender.

— Tu es avec moi, Joli Cœur ?

Je souffle un rire davantage nerveux que joyeux à la question.

— Je ne me suis pas réfugié dans ma tête, acquiescé-je en tentant de reprendre le contrôle de mon souffle court. Est-ce que je chantais ?

— Non, mais ça ne t'arrive presque plus dernièrement.

Pas quand je suis entouré en tout cas, mais j'ai encore besoin de ma dose quotidienne de rêveries, comme un junkie dépendant de sa drogue.

Ses doigts s'emmêlent aux miens, exerçant sur ma chair une pression qui me communique son soutien puisque son regard, concentré sur le chemin, ne peut pas le faire.

— Je suis avec toi. Quoi qu'il arrive, nous l'affronterons ensemble.

Je hoche la tête, incapable de répondre, une boule d'angoisse obstruant ma gorge. Inspirant et expirant longuement pour me calmer un minimum, je ferme les yeux dans l'espoir de faire refluer toutes les craintes qui encombrent mon esprit.

J'aurais voulu pouvoir prétendre être serein, puisque, quoi qu'il arrive, je sortirai vainqueur de cette rencontre, je pourrai refermer enfin cet opus de ma vie et passer au tome suivant. Malheureusement, en ce lieu, je suis de nouveau le petit garçon terrifié d'autrefois, ne désirant rien de plus que l'amour de sa mère.

— Prêt ?

Notre voiture stationnée sur un emplacement de la cour prévu à cet effet, je remarque l'ancienne complice de mes acrobaties d'autrefois. Ma vieille balançoire n'a pas changé, elle non plus, comme un vestige parfaitement conservé d'un temps passé. Le grand chêne à la branche duquel elle est accrochée semble plus imposant cependant.

Une caresse sur ma joue me rappelle à l'ordre avec une tendresse qui fait trébucher mon cœur. Relevant le visage vers le sien, nos regards se percutent alors de plein fouet avec une intensité qui finit de me bouleverser et, dans la profondeur de ses yeux chocolat, je trouve le courage qui me fait défaut.

— Non, mais allons-y quand même, assuré-je avec un petit sourire de remerciement.

Les portières sont à peine entrouvertes que déjà les odeurs caractéristiques du domaine nous cernent de toutes parts. Un mélange de paille et de foin, de poussière et de pollen, de crottin aussi et de la fragrance toute particulière des chevaux qui vivent ici par centaine. Au loin, on peut percevoir les hennissements des animaux et le martèlement de leurs sabots, ainsi que le bruit de l'activité humaine, des employés qui s'occupent de récupérer les box et de soigner les bêtes. Peut-être même qu'un cours est dispensé dans l'un des manèges, derrière la maison.

À l'encre de nos rêvesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant