35. Marc

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— Je t'ai pris rendez-vous chez l'ostéo. Lundi, treize heures.

L'air chaud qui règne à l'extérieur me frappe de plein fouet lorsque je rejoins Liam sur la petite terrasse ombragée exposée plein nord.

— Ce lundi ? Tu es sûr ?

Le dos bien droit, preuve de son inconfort, il se détourne de l'écran de son ordinateur pour m'observer, son expression soucieuse et concernée me touchant en plein cœur.

— Le championnat se clôture en fin d'après-midi, mon père sera sans doute rentré pour le dîner, expliqué-je en m'installant à ses côtés sur la banquette. Demain, au plus tard dimanche, nous serons partis.

Je guette la sensation de tristesse censée accompagner ma déclaration, mais rien ne vient si ce n'est le soulagement de bientôt retrouver les repères familiers de notre quotidien.

Depuis que Liam a tenté, sans succès, de détourner ma mère de ses préjugés, elle s'est arrangée pour s'absenter du manoir le plus souvent possible, prétextant diverses obligations et autres invitations. Le reste du temps, lorsque nous nous croisons ou prenons nos repas ensemble, elle ne daigne pas m'adresser la parole, ne m'offrant que son air abattu et son regard larmoyant.

Autrefois, la voir dans un tel état m'aurait blessé et culpabilisé, mais il faut croire que les quelques jours passés ici m'ont guéri de son chantage affectif. Mon humeur, pourtant, s'est affadie, mes émotions en berne comme si je vivais un deuil. Ou plutôt, les prémices d'un deuil, comme on veille une personne aimée sur son lit de mort jusqu'à lui dire adieu. Les jours qui passent ne font que me préparer à l'inévitable.

C'est difficile aussi pour Liam qui ronge son frein du mieux qu'il peut pour ne pas dire ses quatre vérités à ma mère depuis qu'il sait ce que j'ai traversé durant mon adolescence. C'est d'autant plus vrai depuis qu'il a discuté religion avec elle et qu'il a été témoin de la pugnacité avec laquelle elle s'accroche à ses préjugés, l'absence de remords face à ses propres actes.

Plus tôt nous partirons, mieux ça vaudra. Pour tout un chacun.

Exténué par mes nuits blanches et mes états d'âme, je m'allonge sur la banquette, les cuisses de Liam en guise d'oreiller. Comprenant mon besoin de repos, ses doigts reprennent leur danse frénétique sur le clavier de son ordinateur après s'être perdu quelques secondes dans mes cheveux. Bercé par la mélodie des touches et les vibrations qui m'atteignent à travers son corps, je ferme les yeux et libère mes autres sens.

Le parfum des rosiers qui bordent la terrasse se mêle à celui de la citronnelle que ma mère a planté là dans l'espoir futile d'éloigner les moustiques, et aux odeurs plus éthérées de la forêt, de paille fraîche et de fumier. Je les perçois comme des notes de musiques qui saturent l'air d'une mélodie olfactive inimitable au cœur de laquelle la fragrance de mon homme prédomine et m'appelle tel le chant d'une sirène.

Sur ma peau, la caresse du soleil et du zéphyr est aussi agréable que celle que m'offre Liam à la moindre occasion au milieu de son travail. J'écoute le murmure du vent dans les feuilles, le gazouillis de quelques passereaux que je suis incapable de reconnaître, et même l'écho de l'activité des chevaux, savourant le contraste avec le charivari urbain que je m'apprête à retrouver d'ici quelques jours.

Perdu à mi-chemin entre le monde du rêve et celui de la réalité, je ne réalise que je chantonne que lorsque Liam joint sa voix à la mienne sur l'air de Three times a lady de Lionel Richie que je prends toujours plaisir à remanier pour le lui adresser.

When we are together, the moments I cherish
With every beat of my heart
To touch you, to hold you, to feel you, to need you
There's nothing to keep us apart

À l'encre de nos rêvesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant