31. Marc

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— Allez dans la paix du Christ !

— Nous rendons grâce à Dieu.

Ma réponse s'élève et se mêle à celle des autres fidèles dans l'acoustique toute singulière de l'église, soulevant ma peau d'un frisson tant je vis cette communion comme une véritable bénédiction. La célébration se conclut par un dernier chant puis, un à un, les paroissiens quittent le lieu de culte. La lumière jusque-là feutrée par les vitraux colorés envahit la pièce, blanche et crue, quand la grande porte s'ouvre sur eux.

Je ne bouge pas, patientant sur mon banc, légèrement à l'écart, nimbé par l'odeur de l'encens. Apaisé. Serein. Ce sanctuaire a si longtemps été un foyer pour moi, le seul endroit où je me sentais aimé et à ma place, où on ne cherchait pas à m'influencer, à me changer ou à me contrôler. Aujourd'hui encore, je me sens comme à la maison ici, plus que dans le manoir de l'Orée à vrai dire.

— Marc, il me semblait bien que c'était toi. Quelle belle surprise tu me fais en cette magnifique journée !

Je m'extirpe sans difficulté de mon état méditatif pour faire face au visage souriant de l'abbé. Le retrouver après toutes ces années m'imprègne d'émotions bien plus intenses que celles que j'ai ressenties devant mon propre père, il y a quelques jours de cela.

— Bonjour, Mon Père, salué-je, le titre clérical résonnant dans mon âme avec force.

— Allons, allons, pas de manière avec moi. Viens par là que je t'observe, rétorque l'abbé Michel avec sa bonhomie habituelle.

Me pliant de bonne grâce à sa demande, je lui emboîte le pas jusqu'à l'allée centrale baignée de lumière.

Tout mon être est en liesse. Je suis reconnaissant à Dieu d'avoir mis sur ma route cet homme qui a choisi de lui dédier sa vie. Il a été un ange gardien, un ami, un soutien indéfectible, une figure parentale, une icône de bienveillance et d'amour. C'est grâce à lui que j'ai pu tenir bon si longtemps, lui qui m'a tenu la tête hors de l'eau alors que je me noyais, lui qui m'a sauvé, finalement, de plus d'une façon.

Mon nez me pique et mon regard s'embrume alors que je réalise combien il m'a manqué.

— Le sable du temps glisse sur toi sans éroder ta jeunesse, mon garçon. Tu n'as pas changé depuis l'époque où tu étais enfant de chœur.

Ce qui n'est pas le cas pour lui, noté-je distraitement. Comme pour ma mère, les années ont laissé leurs stigmates sur son corps plus voûté qu'autrefois, sur son visage sillonné de rides d'expression, sur ses mains légèrement tremblantes dont la peau diaphane est striée de veines épaisses. Elles n'ont cependant altéré ni son air chaleureux, ni son sourire sincère, ni sa lumière.

— J'ai acheté ton disque, à propos. Sache que ta voix manque à cette église.

— Qu'est devenue votre chorale ? J'ai été surpris par son absence.

Comme une habitude immuable, nous nous dirigeons à pas mesurés jusqu'à la sacristie où je l'aide à se défaire de son aube sous laquelle il porte une tenue plus civile, exception faite du col romain blanc qui ne le quitte jamais.

— Oh tu sais, c'est déjà une bénédiction que j'officie toujours ici. C'est grâce aux paroissiens qui ont fait pression sur le diocèse. Dans les petites communes, les églises se vident, il y a de moins en moins de fidèles, alors d'enfants ? Cette année, je n'en ai que six d'inscrits au catéchisme. J'ai bien dû me résoudre à dissoudre la chorale, il y a déjà plusieurs saisons de cela. Mais ce n'est pas grave, l'expérience a été satisfaisante le temps qu'elle a duré.

Malgré la pointe de déception qui me transperce à cette nouvelle, je ne peux m'empêcher de lui rendre son sourire, captivé par sa propension à positiver quoi qu'il arrive.

À l'encre de nos rêvesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant