29. Liam

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— Les bois vous appartiennent aussi ?

— Cinq ou six hectares, oui. Si je ne dis pas de bêtise, en France, trois quarts des forêts sont privés, mais ici, en Sologne, ce chiffre s'élève à près de 90 %. Elles sont en grande partie consacrées à la chasse, mais ma famille s'en sert surtout pour les chemins de randonnée et pour se chauffer l'hiver.

Main dans la main, nous déambulons le long des allées de calcaires qui crissent sous nos pieds, prétendant ne pas remarquer les coups d'œil surpris qui nous sont adressés des quelques personnes que nous croisons.

Le domaine de l'Orée, qui tient d'ailleurs son nom du fait qu'il borde la forêt, est bien plus grand et animé que je l'avais présagé avec ses espaces boisés, ses champs cultivés afin d'être en grande partie autonome quant à l'approvisionnement en foin et en paille, ses aires d'entraînement équestre, ses bâtiments de stockage, ses box, ses selleries et ses prés.

Tout est pensé pour les chevaux que ce soient pour la reproduction, l'alimentation, le travail, ou le repos, si bien que la superficie réellement allouée au manoir et à ses habitants paraît ridiculement petite. En dehors de la terrasse ombragée et de la balançoire suspendue au vieux chêne devant la maison, je peine à imaginer Marc évoluer ici pendant son enfance.

— Tu sais monter ?

Ma question le fait pouffer.

— Mon père m'a mis en selle alors que j'étais à peine en âge de marcher. Malheureusement pour lui, je me mettais à hurler et pleurer dès que j'approchais d'un poney. J'en avais une peur bleue. Il a retenté sa chance plusieurs fois après ça, vers mes six puis mes dix ans avant d'abandonner définitivement l'idée de faire de moi un cavalier accompli quand j'ai eu quinze ans.

Son regard doux et tendre croise le mien le temps d'un battement de cœur avant de se perdre à nouveau sur ce qui l'entoure, comme s'il se gorgeait de l'endroit et de tous les souvenirs qui s'y rapportent.

— J'aime beaucoup les chevaux en réalité, je pouvais passer des heures à les observer dans les herbages, en liberté. Ils sont si paisibles, si tranquilles. Ils jouent, se chamaillent parfois, mais sont unis au sein de la harde. Il faut les voir, tête bêche à se grattouiller mutuellement ou s'aider à chasser les mouches. Quand j'ai eu mon premier baladeur cassette, je m'installais avec eux au milieu d'un pré, la musique dans mes oreilles, à ne rien faire d'autre sinon exister.

Son récit est vibrant de nostalgie, provoquant mon attendrissement. En dépit de son contexte familial compliqué et de la rencontre houleuse avec sa mère, je suis heureux d'en apprendre un peu plus sur lui et son enfance.

Agathe de Mauduit est l'archétype même de la femme bien sous tout rapport à qui on donnerait le Bon Dieu sans confession. L'expression d'autant plus pertinente dans son cas. Pourtant derrière sa silhouette frêle, ses allures joviales et sa bonne éducation, elle s'avère d'une effroyable rigidité. J'ignore encore si elle embobine son fils à dessein ou s'il s'agit de sa façon d'être, quoi qu'il en soit, je comprends mieux la difficulté qu'à Marc à couper les ponts avec cette femme si prompte à lui faire du mal.

L'air est saturé du bruit et des odeurs de la nature. Je peux aisément percevoir celles du foin, du crottin et du pollen qui me chatouille le nez. La chanson du vent dans les feuillages, celle des oiseaux qui pépient à tue-tête ainsi que l'écho des sabots qui claquent sur le sol dur des allées. Contrairement à l'idée que je m'en faisais, les chevaux en eux-mêmes hennissent et s'ébrouent très peu, pas comme dans les films ou dans les dessins animés pour enfants.

En un mot, l'endroit respire le calme et la quiétude, ce qui me dépayse totalement de la vie parisienne que j'ai toujours connue. Ni bruits de moteur ni émanations de pots d'échappement ne viennent corrompre ce spectacle enchanteur.

À l'encre de nos rêvesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant