32. Marc

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— Est-ce que... Est-ce que quelqu'un est au moins au courant ?

Assis à la table du presbytère, Liam m'observe de son regard rougi. Maintenant que la tempête est passée, il paraît épuisé et plus triste que jamais.

— Moi, répond l'Abbé Michel avec un sourire de sympathie à son égard.

— Mon thérapeute, aussi. Nous avons abordé ce sujet lors de nombreuses séances, la première fois que je l'ai consulté.

Les mains serrées autour de mon chocolat chaud, je tente d'y puiser un certain réconfort, de me réchauffer un peu le cœur grâce à cet élixir sucré et régressif.

— Et Sam ?

J'offre un coup d'œil interrogateur à l'abbé qui ne peut pourtant pas m'éclairer.

— Non, Sam n'est pas au courant. J'ai hésité à lui en parler, il y a longtemps. Quand il m'a accompagné chez mes parents justement, mais... lorsque j'ai évoqué les centres de conversion, il s'est mis dans un tel état que je n'ai pas pu me résoudre à le lui avouer.

Liam hoche la tête, à moitié soulagé de savoir que je ne portais pas ce fardeau seul malgré tout, avant de relever son regard vers l'homme d'Église qu'il rencontre dans les pires circonstances imaginables.

— Marc m'a dit que vous aviez tout fait pour l'aider...

— C'est lui qui m'a sorti de là-bas, expliqué-je. Grâce à madame Moreno – la gérante du café où tu étais tout à l'heure – qui l'a averti de la situation.

— Combien de temps tu...

Mon cœur se fendille de voir Liam si vulnérable, incapable d'aller au bout de ses questions. Je perçois dans son timbre éraillé que sa gorge est toujours serrée d'émotions.

— Peut-être que le mieux serait de tout lui raconter depuis le début, Marc. Qu'en dis-tu ? Si tu t'en sens le courage, bien sûr.

Un frisson glacé me dévale l'échine à la suggestion. Des milliers de souvenirs crépitent sous ma peau qui me démange, ainsi que sous mon crâne, saturé d'une succession d'images kaléidoscopiques qui me donne la nausée, me faisant cligner des paupières tandis que je tente de les maîtriser. Même après toutes ces années, je suis incapable d'y penser sans perdre pied, sans sentir mon âme se disloquer.

Je suis tellement perdu dans les affres de ma mémoire, tellement engoncé dans ce passé qui me terrifie que je sursaute violemment lorsque la main chaude de Liam recouvre la mienne sur la table. Ce simple contact me permet de rassembler les morceaux épars de mon âme. Je réalise alors que ma respiration est anarchique et que j'ai le regard hagard, réduit au statut de proie face à un prédateur pourtant invisible.

— Tu n'es pas obligé, murmure-t-il avec inquiétude. Jamais je te t'obligerai à m'en parler si c'est au-dessus de tes forces, mon amour.

Sa prévenance me fait du bien. En dépit de la terreur sourde qui vibre en moi aux souvenirs qui m'assaillent, je sais qu'il a besoin de savoir. Je me refuse à l'abandonner à des spéculations et des demi-vérités.

— Ça va, affirmé-je. Je veux bien t'en parler, parce que je comprends que tu as besoin de réponses.

Par contre, je me refuse de lui faire part des détails sordides, car ces derniers lui feront plus de mal que de bien.

Il acquiesce en silence, se recomposant au fil des minutes qui s'étirent, redevenant lui-même dans son besoin de veiller sur moi.

J'expire lentement, comme le docteur Lemoine me l'a appris afin de faire le vide dans mon esprit et ne pas me laisser submerger. Un battement de cœur après l'autre, je plonge un peu plus profondément dans les limbes de mes souvenirs et libère mes démons de leurs chaînes. L'accablement s'instille dans mes veines à chaque seconde qui passe, comme un poison qui se propage au rythme de mes pulsations cardiaques.

À l'encre de nos rêvesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant