26. Marc

204 34 39
                                    

— J'arrive pas à croire que tu m'abandonnes comme une vieille chaussette.

En dépit de l'air déprimé de Valentin, je suis incapable de retenir un rire, amusé par à sa réaction quelque peu mélodramatique.

— Oh, mon Valou, regarde-toi, je ne suis pas encore parti que tu combles déjà mon absence en jouant les drama queens.

Un sourire aux lèvres, j'essuie une larme imaginaire au coin de mon œil pour mimer une fierté toute théâtrale.

— Ce n'est pas drôle. Ce ne sera plus pareil sans toi.

Ces propos me touchent en plein cœur, m'émeuvent de la plus belle des façons malgré la tristesse qui plane autour de nous. Même si je pars, même si je prends une année sabbatique afin de déterminer si je peux vivre uniquement de ma musique, je n'oublie pas que tout a commencé ici. Avec Val.

Avant lui, je n'étais que l'ombre de moi-même, ne m'épanouissant qu'à travers mes rêves éveillés, incapable de socialiser avec mes collègues, incapable d'affronter ma solitude et la sinistre réalité de mon existence.

Puis il a débarqué, avec son sourire et sa joie de vivre, ne se laissant impressionner ni par ma réserve ni par ma bizarrerie. Revenant chaque jour me proposer de l'accompagner à la machine à café, m'apprivoisant lentement mais sûrement comme le Petit Prince avec le renard.*

C'est avec lui que j'ai pu m'extirper un tant soit peu de mes travers. Grâce à lui, même s'il l'ignore, que j'ai eu envie de m'en sortir, au point de faire la démarche de consulter un psy pour la première fois. Par son intermédiaire que j'ai rencontré Évy, Paola, Fabrice, et pour finir Samuel.

Submergé d'émotions suite à cette rétrospection, je m'arrête dans mon mouvement, mon mug « J'peux pas, j'ai licorne » suspendu dans les airs au-dessus du carton.

— Peut-être que je fais la plus grosse connerie de ma vie, paniqué-je.

— Hop hop hop ! Pas de ça mon Marco. C'est la meilleure décision que tu puisses prendre au contraire.

Un peu déboussolé, je verrouille mon regard à celui de mon ami, pas vraiment certain de ce que j'y cherche moi-même.

— Tu te contredis, Val ! balbutié-je en me laissant tomber sur ma chaise de bureau.

Enfin... de mon ancien bureau.

— Pas du tout, rétorque-t-il avec un de ses habituels sourires solaires. Ce ne sera vraiment plus pareil sans toi, et j'aurais besoin d'un temps d'adaptation pour m'y faire, mais ce n'est pas pour cette raison que tu ne dois pas te lancer. Tu serais un bel idiot de ne tenter ta chance qu'à moitié, de ne pas saisir cette opportunité de découvrir jusqu'où tu peux aller.

C'était un p'tit bonhomme, rien qu'un tout p'tit bonhomme
Malhabile et rêveur, un peu loupé en somme
Se croyait inutile, banni des autres hommes
Il pleurait sur son saxophone

J'exhale un soupir frémissant. Mes émotions sont sens dessus dessous. Je ne parviens plus à réfléchir, à démêler tout ce qui s'embrouille sous mon crâne. Une chanson s'insinue tortueusement entre mes synapses. Elle vibre en moi de plus en plus fort tandis qu'elle prend possession de mon être, à moins que ce ne soit mes propres tremblements que je perçois jusque dans ma poitrine.

Il y mit tant de temps, de larmes et de douleur
Les rêves de sa vie, les prisons de son cœur
Et loin des beaux discours, des grandes théories
Inspiré jour après jour de son souffle et de ses cris
Il changeait la vie*

À l'encre de nos rêvesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant