9. Liam

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Joyeux anniversaire mon chéri.
Je t'aime. Maman.

Assis sur l'abattant des toilettes, je souris en dépit de la mélancolie qui me comprime la poitrine.

Merci Maman. Désolé de ne pas avoir pu passer. Marc m'a organisé une fête surprise avec nos amis.
Je t'aime aussi. ☑

Il m'a prévenue, ne t'en fais pas. Allez lâche ce téléphone et file t'amuser. Cette journée est en ton honneur, alors ne t'occupe pas de ta vieille mère et profite de l'instant présent.

Je lui réponds par une émoticône qui lui envoie un bisou, plus morose encore qu'un peu plus tôt.

La soirée est à l'image de celles que nous partageons régulièrement avec la bande, malheureusement ni mon esprit ni ma bonne humeur ne sont au rendez-vous. Je me sens étranger à toute cette effervescence, absent.

Absent, ou plutôt « pas présent ».

Malgré mes efforts, mes pensées ne cessent de me renvoyer dans le passé, lors d'un autre anniversaire, il y a déjà vingt-six ans de cela.

Mon douzième anniversaire. Le dernier en compagnie de papa.

Maman avait tenu à le célébrer malgré les circonstances, m'encourageant à inviter des copains à la maison pour l'occasion. J'avais refusé sans avoir à y réfléchir. Nous savions déjà à ce moment-là que ceux que nous vivions étaient les derniers tous ensemble. Les médecins avaient été clairs. Nous devions nous préparer. Ne pas nourrir d'espoir inutile. Papa ne guérirait pas. Ils avaient fait leur possible, mais la maladie s'était propagée. Phase terminale avaient-ils dit, et ça avait sonné dans mon esprit comme le terminus du grand train de la vie.

Ce jour-là, elle m'avait encouragé à entrer dans la chambre sans elle, m'assurant qu'elle ne serait pas loin en cas de besoin. J'avais compris. Papa voulait me parler seul à seul. J'avais gonflé fort mes poumons pour me donner du courage. Je ne voulais pas pleurer, pas devant lui en tout cas. Pas par pudeur ni honte, mais pour ne pas gâcher nos derniers instants. Il serait toujours temps de pleurer. Après. Après, mais pas maintenant. Pas maintenant.

— Ça va là-dedans ? Ma vessie de femme enceinte va exploser si tu ne libères pas très vite la place.

La voix d'Évy n'a aucun mal à percer à travers la musique. Ce simple constat me fait doucement rire, même si encore une fois, le cœur n'y est pas. Aucune importance, je n'allais pas rester caché toute la soirée de toute façon. Tirant la chasse d'eau pour faire bonne mesure, je m'extirpe de la pièce dans la seconde, affrontant le regard moqueur de la future maman.

— Je dois prévoir un masque à oxygène ou la voie est libre ?

Les mains soutenant son ventre bien arrondi, elle sautille d'un pied sur l'autre dans l'attente de ma réponse.

— La voie est libre, je me suis juste perdu sur les réseaux. Tu sais ce que c'est. Tu scrolles, tu scrolles et c'est comme si ton âme était aspirée dans l'application.

— Ne dis surtout pas ça à Valentin. J'essaie de le convaincre de se créer un compte. Oh putain, désolée mais je dois vraiment y aller !

La porte claque derrière elle, me laissant seul et démuni au milieu du couloir. Privé d'excuses valables pour me tenir éloigné des festivités, je rallie le séjour où sont réunis mes amis, profitant de mon passage dans la cuisine pour me servir un verre de whisky des plus nécessaire. Loin de moi l'idée de me mettre minable, j'ai simplement besoin d'un peu de courage liquide.

À l'encre de nos rêvesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant