Chap 9 : pdv Idgie

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      Quand j'arrivais à l'école le matin, j'avais l'impression d'être libre l'espace de quelques heures. Certains jours, mon père me déposait. Immobile, je le regardais s'éloigner dans sa voiture et parfois, j'espérais qu'il ne revienne jamais me chercher.

Comme dans certains romans où, d'un seul coup, quelqu'un disparaissait sans laisser de trace. Zéro indice. Volatilisée, évanouie dans la nature pour ne jamais être retrouvée. 

Serais-je un jour comme Hailie?

Je savais que je ne devais pas penser des choses aussi horribles, mais je ne pouvais pas m'en empêcher. Parfois, j'avais juste envie d'être seule et qu'il me laisse tranquille. Je préférais prendre le train ou le bus pour me rendre en cours. 

Mon seul souhait : être seule et oubliée de tous.

Depuis quelque temps , sa course au succès ne faisait que s'intensifier. Il m'imaginait chanteuse, danseuse ou actrice. Il voulait m'inscrire à des concours qui ne m'intéressaient pas, juste pour me donner une possibilité supplémentaire. 

Mais une possibilité de quoi ?

Je n'avais pas envie d'être connue. Je voulais juste qu'on laisse en paix. Grandir tranquillement sans devoir prouver au monde entier à quel point j'étais douée pour telle ou telle activité.

Quand je repensais à ma mère, je regrettais mes premières années de vie où mon père me laissait vivoter. Maman m'avait toujours protégée de ses rêves de gloire puis brusquement, je m'étais retrouvée seule avec lui.

Maman n'était plus là pour me protéger. Plus personne ne le raisonnait, plus personne ne lui disait que notre vie devenait un délire total.

J'avais une fois osé lui dire qu'il devait voir un psy, mais ça avait été le drame. Plus jamais je ne lui ferais une remarque aussi franche.

J'aperçus au loin mon amie Lali. Je la reconnus directement, car elle avait de beaux cheveux roux. Elle devait avoir ma taille et souvent, elle s'habillait en bleu. Elle disait que c'était plus facile de choisir un ensemble le matin en ayant un maximum de bleu dans sa garde-robe. Tout allait avec tout. Sacrée Lali, elle était unique.

Je la suivis sans qu'elle s'en rende compte et je la remerciai intérieurement de n'avoir jamais changé de comportement à mon égard. Elle était restée mon amie, pas comme Will.

Certes, j'étais devenue populaire, j'étais connue sur les réseaux sociaux, mais Lali s'en moquait complètement. Elle n'avait même pas de compte sur toutes ces apps. Ses parents n'aimaient pas internet. Ils étaient à l'opposé de mon père.

Lali possédait un vieux portable d'occasion. Ses deux seules fonctionnalités : téléphoner et envoyer des messages. Le rêve ! Mon amie n'aimait pas cet univers connecté. 

Un jour, je lui avais proposé de lui échanger mon iPhone dernier cri avec son vieux téléphone, mais elle avait refusé en riant. 

-Tu es dingue ! Mes parents vont me tuer s'ils me voient avec un truc pareil.

Souvent, elle disait  :

-Comme tu es une star, je n'ai pas besoin de me faire de compte pour te suivre. Je suis en direct avec toi toute la journée. Que demander de mieux ?

Je lui souriais avec reconnaissance. Tout était limpide avec elle.

Nous parlions de nos chagrins, de nos déceptions ou de nos boutons d'acné. Et c'était juste génial. Notre relation était saine et vraie.

Parfois, elle me disait que jamais elle ne pourrait être populaire tout comme je l'étais, car elle souffrait d'eczéma. De temps à autre, elle avait des plaques qui recouvraient certaines parties de son corps. Elle tentait de les cacher du mieux qu'elle pouvait, mais malheureusement, certaines restaient visibles.

Quelques élèves ne se gênaient pas pour se moquer d'elle ou pour la fuir en insinuant qu'elle était contagieuse, ce qui était totalement faux et immature.

-Elle a peut-être la variole du singe !? disaient-ils méchamment en nous regardant comme deux pestiférées.

-C'est certain, Idgie va perdre des abonnés en trainant avec cette tarée, continuaient-ils.

Les ignorant du mieux qu'elle pouvait, Lali me regardait avec résignation :

-Les gens n'ont pas envie de voir ça sur TikTok, tu comprends ?

-On s'en moque des gens.

-T'as raison, Idgie.

-Ce qui compte vraiment, c'est nous deux, pas vrai ?

-Oui.

-Juste nous deux ! Rien à faire de TikTok.

-Rien à battre d'Insta.

-Snap peut aller se faire cuire un œuf.

-Ce soir, je vais proposer à mon père de faire un reportage sur tes plaques d'eczéma, tu en penses quoi ?

-Il va a-do-rer !!!

Nous nous esclaffions comme deux gamines, sans chercher à savoir si nous étions drôles ou pas. Peu importait. 

Ce qui comptait, c'étaient nos rires sincères et spontanés.

Avec ma chère Lali, nous oubliions le reste du monde.




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(21 avril 2024)

Le train de nos vies ordinairesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant