Chap 44 : pdv Idgie

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   -Papa, je veux prendre le train pour aller à The Voice.

-Pourquoi pas y aller en voiture ? C'est plus facile.

-Non, je veux prendre le train.

-Comme tu veux, Idgie. Du moment que tu tiens ta promesse pour The Voice, cela m'est égal.

Maman aimait prendre le train, mais ça, papa avait l'air de l'avoir oublié. Aujourd'hui, si je devais me rendre aux blinds*, je voulais m'y rendre en train. C'était comme avoir maman à mes côtés.

-Mais pourquoi as-tu un sac de provisions avec toi ? Tu auras de quoi manger à l'audition.

-Je veux prendre ce sac avec moi.

-Peu importe. Faut y aller ! 

J'enfonçai une casquette sur ma tête puis je me mis à marcher vers la gare. J'aimais bien cet endroit. Me fondre dans la masse, passer inaperçue. Pouvoir aller où je le souhaitais en toute liberté.

Avant la mort de maman, je prenais souvent le train en sa compagnie. Maman n'aimait pas conduire. Elle détestait les embouteillages, le bruit, le stress de la route, les klaxons et l'agressivité de certains conducteurs. 

Du coup, nous prenions le train à deux et nous découvrions le monde. Parfois, un matin, elle venait me trouver dans ma chambre. Elle me caressait le visage doucement, un énorme sourire sur les lèvres.

-Viens, prépare ton sac, on part à Ostende*. On va faire du cuistax* sur la digue.

Nous partions main dans la main vers la gare pour vivre de folles aventures toutes les deux pendant que mon père travaillait comme un forcené.

Je marchai lentement dans la gare, semant mon père volontairement. Puis, je tournai les yeux vers un homme assis sur le sol, le long du mur.

C'était un sans-abri que je croisais depuis un moment. Sa situation me perturbait. Je ne pouvais pas faire comme si je ne l'avais pas vu, impossible. Il me bouleversait énormément, tout comme maman n'aurait pas pu être indifférente face à son sort.

Je me sentais tellement mal avant d'aller à The Voice que j'avais besoin de faire quelque chose de bien. Maman aurait agi comme moi à cet instant. Elle aurait été fière si elle avait été à mes côtés.

Je m'avançai vers lui maladroitement :

-Bonjour monsieur, désolée de vous déranger.

L'homme leva les yeux vers moi, surpris que je lui adresse la parole si poliment.

-Vous n'aviez pas un chien avec vous d'habitude? demandai-je brusquement, perturbée de ne pas apercevoir son adorable animal.

L'homme acquiesça tristement.

-Aiko.

-Où est-il ?

-Je perdu Aiko, impossible de le retrouver.

-Pendant quelques semaines, je ne vous ai plus vu à votre place habituelle. Je me suis inquiétée pour vous. J'ai cru que ...

-Je ne pouvais plus rester ici sans mon chien. Je l'ai cherché partout puis, finalement, j'ai eu une idée étrange pour ne pas perdre la tête. Mais finalement, cette idée n'était qu'un mensonge de plus pour éluder le fait que je ne suis qu'un raté.

-Qu'avez-vous fait ?

-Je me suis fait passer pour un contrôleur de train.

-Et ça a fonctionné ?

-Oui, très bien, étonnement.

Je le dévisageai, muette, étonnée par cette discussion improbable.

-Mais j'ai décidé de ne plus être ce que je ne suis pas, dit-il. C'est fini maintenant.

En cet instant irréel, je me sentis très proche de cet homme. C'était comme si nous nous comprenions.

-Je compte faire comme vous. Je ne veux plus mentir non plus, confessai-je doucement.

Il leva les yeux vers moi, interloqué et surpris.

-J'en ai marre de jouer un rôle, lâchai-je.

-Fais comme moi, jeune fille. Dis la vérité, y a rien de mieux que la vérité.

-Comptez sur moi, monsieur.

Je m'accroupis à sa hauteur et lui tendis mon sac de provisions que j'avais rassemblé pour lui. Je posai la main sur son bras pour l'encourager. Quelques larmes inondaient son visage. J'avais caché une enveloppe avec de l'argent dans le sac, de peur qu'il refuse mon aide. Peut-être que grâce à moi, il arriverait à reprendre pied.

-Je voulais vous donner ceci.

-Merci beaucoup, je ne sais pas quoi te dire, dit-il en ouvrant le sac avec reconnaissance et émotion.

-Je vais parler de votre chien sur mes comptes. 

-Sur tes réseaux ? Cela fait longtemps que je n'ai plus internet. Tu imagines bien, dit-il en riant. Mais je te reconnais en effet. Tu ne serais pas «amazing » quelque chose ?

Je me mis à rire aussi. C'était tellement bon de ne pas être reconnue spontanément.

-Oui, je suis Amazing Idgie. Je déteste être connue, mais autant que ça serve cette fois-ci. Je vais vous aider à retrouver votre chien.

-Merci beaucoup pour ta générosité. Je ne sais pas comment te remercier.

-Vous ne devez pas me remercier. J'espère de tout cœur que vous retrouverez Aiko. Je dois y aller, mon père est sûrement en train de me chercher partout dans la gare. Au fait, vous vous appelez comment ?

-Naël.

-Enchanté Naël.

-Merci pour tout.

-De rien.





*************

Les blinds : ce sont les auditions à l'aveugle de l'émission The Voice.

Ostende : c'est une petite ville touristique, situé le long de la mer du Nord, dans la partie flamande de la Belgique.

Cuistax : c'est un vélocipède que l'on peut louer sur la côte belge, comportant 3 ou 4 roues. Pourquoi ce nom ? Cela vient d'un mix entre deux mots : cuisse et taxi. 

N'hésitez pas à aller voir des photos sur internet. Cela vous donnera envie de pédaler sur la digue belge. 

Le train de nos vies ordinairesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant