Chap 45 : pdv Lali

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   Je n'avais pas supporté qu'il fasse du mal à ma meilleure pote. Comment pouvait-il envenimer les choses alors qu'Idgie était déjà si malheureuse   ? Était-il aveugle à ce point ? Il était censé la connaître par cœur et pourtant, j'avais l'impression qu'il avait tout oublié.

Tout oublié.

Notre amitié commune, nos souvenirs d'enfants, notre connivence, nos secrets. Comment pouvait-il agir de la sorte après tout ça ? Cela me mettait hors de moi.

Ce jour-là, j'étais sortie faire quelques courses pour mes parents. Je pensais à Idgie qui était partie avec son père afin de passer les auditions à l'aveugle. Une étape importante qui rendait malade mon amie. Je savais qu'elle n'aimait pas ce genre d'émission et pourtant, elle y était allée avec courage et détermination.

Elle m'avait confié que cette journée serait mémorable, qu'elle m'expliquerait tout plus tard.

Elle m'avait parlé d'un rêve qu'avait sa mère, d'un souhait que voulait réaliser son père. Une fois de plus, elle avait accepté tout en se taisant, mais je savais qu'un jour, elle n'arriverait plus à accepter ce quotidien. Ce serait trop pour elle. Cela devenait insupportable.

Je baissai la tête et fixai la liste de courses lorsque j'aperçus William qui marchait de l'autre côté de la rue. Je ne le croisais jamais et voilà qu'aujourd'hui, il était là à marcher sous la pluie, un sac à la main.

Mon sang ne fit qu'un tour. Je traversai en courant puis je me plantai devant lui, en colère.

-Tu me reconnais ? lançai-je énervée.

Il me fixa avec cet air stupide qu'il avait parfois.

-Bien sûr. T'es bête ou quoi ? répondit-il avec suffisance.

-Comment as-tu pu oublier tous nos souvenirs ?

Son regard changea aussitôt. Était-ce de la tristesse ? Je ne parvins pas à en être sûre.

-Je n'ai rien oublié.

-On dirait pourtant que tu es amnésique.

-Pourquoi tu dis ça ?

-Miss Toktok ! Comment as-tu pu lui faire ça ?

-C'était pour rire. Tu as laissé ton humour au placard ?

-Tu aurais pu t'abstenir!

-Elle n'arrête pas de se mettre en avant. C'est énervant à la fin.

-Idgie déteste être connue.

-On ne dirait pas.

-Tu n'as pas encore compris que c'est son père qui l'oblige ?

-Son père ? N'importe quoi.

-Tu me déçois tellement, Will.

-Personne n'oblige jamais Idgie à faire un truc qu'elle n'aime pas.

-Ce n'est pas n'importe qui, c'est son père.

-Et alors ?

-Mais tu es aveugle ou quoi ?

-Elle a changé, c'est tout.

-Oui elle a changé, elle a perdu sa mère. C'est normal qu'elle ne soit plus vraiment comme avant.

Il parut déstabilisé.

-Je le sais ça, mais ...

-C'est toi qui as changé, Will. Et pas en mieux.

-Je ...

-Tu ne peux pas savoir comme elle est malheureuse.

-Malheureuse ? Tu rigoles. Elle a tout pour être heureuse.

-Tu aurais déjà oublié tout ce qu'elle a traversé ?

Muet, William me contempla tristement. À cet instant, je ne m'excusai plus pour mon originalité ni pour mes plaques d'eczéma. Je me sentais déterminée à défendre mon amie, à dire ce que je gardais en moi depuis trop longtemps. Je m'assumais totalement. C'était grâce à Idgie, je le savais, grâce à son amitié irremplaçable.

-Elle avait besoin de toi, tu sais ?

-Je pensais qu'elle ne voulait plus de moi. Son père n'arrêtait pas de me flanquer à la porte.

-Son père, oui, mais pas elle.

-Je ne sais pas, Lali. Je ne sais plus quoi penser.

-Un soir, elle est venue jusque chez toi, mais tu trainais avec tes potes. Tu ne l'as jamais su. Elle voulait tout te raconter pour que tu comprennes.

-Vraiment ?

-Elle avait besoin de toi.

Will baissa les yeux de nouveau.

-Elle va si mal que ça ?

-Qu'est-ce que tu crois ?

-C'est vrai qu'elle a toujours détesté les photos, mais je pensais que ... souffla-t-il mélancolique.

-C'est toujours le cas. Alors tu imagines bien ce qu'elle doit ressentir avec un compte Insta, snapchat et Tiktok.

-Je pensais que Idgie avait changé. Je le pensais vraiment.

-Tu aurais dû lui en parler pour comprendre ce qui lui était arrivé au lieu de supposer.

-Mais ...

-Tu aurais dû, Will ! Elle déprime vraiment.

Il me fixa tristement.

-Je lui en voulais tellement, dit-il. Tu comprends ?

-Elle n'attendait que ça ; que tu lui parles. Elle voulait t'expliquer ce qu'elle ressentait, mais tu ne l'as jamais fait.

-Je ne voulais plus lui parler.

-Et maintenant, tu voudrais bien lui parler ?

-Peut-être, mais c'est foutu d'avance, non ?

-Il n'est jamais trop tard, Will.

-Tu crois ?

-Tu pourrais essayer, en tout cas. Tu pourrais enfin être là pour elle.

Je lui souris pour lui donner du courage, mais je voyais bien qu'il était mal. Tout à coup, il réalisait ce qu'il avait fait.

Il regrettait ses agissements, mais allait-il enfin bien agir ?

Idgie avait besoin de son soutien autant que du mien. Je pensai très fort à elle. Elle devait chanter ce soir, mais elle avait le moral au plus bas. Y arriverait-elle ?

-Où est-elle en ce moment ?

-Elle chante pour The Voice ce soir. Ce sont les blinds.

-À Liège ?

J'acquiesçai. Il fronça les sourcils puis soudain, il détala comme un malade sur le trottoir humide. Je le regardai galoper sous la pluie tout en soupirant de soulagement.

-Will ? hurlai-je tout en contemplant les pommes et les céréales qu'il venait de faire tomber sur le sol. Où tu vas comme ça ?

-Désolé Lali, mais j'ai un train à prendre, cria-t-il sans se retourner.

Le train de nos vies ordinairesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant