Chap 47: pdv Naël

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   Depuis que j'avais avoué à Céleste que je n'étais pas un vrai contrôleur de la SNCB, j'avais décidé de retrouver ma place dans la gare, celle que je partageais avant avec Aiko.

Maudite place, mais place quand même.

Où pouvais-je aller d'autre après ce nouveau désastre dans ma vie ? je n'avais nulle part où aller.

Ma vie n'était qu'une succession de déconvenues et de mauvais choix. Je ne pouvais m'en prendre qu'à moi-même. La preuve, j'étais là tout seul, une fois de plus.

Aiko, mon chien, me manquait tellement.

À ce stade, j'avais vraiment tout perdu.

Avant, j'étais marié, j'avais une belle villa, un compte en banque bien rempli. Bref, j'avais une vie normale. Tout avait déraillé lorsque j'avais accumulé les heures supplémentaires. Tout était parti en vrille lorsque j'avais voulu gagner plus d'argent pour impressionner ma femme, pour lui payer tout ce dont elle rêvait.

Pourquoi ne pas se contacter ce que nous avions ? N'était-ce pas suffisant pour être heureux ?

Peut-être que nous aurions dû en parler tous les deux ? Que j'aurais dû lui dire que l'argent ne tombait pas du ciel ? Qu'en gagner autant me rendait malheureux et las ?

Peut-être ...

J'avais accepté de travailler davantage dans le but de payer un voyage de rêve à mon épouse. Elle n'arrêtait pas de me parler des Maldives puis de Bora-Bora, de cette amie qui y avait été l'année passée. Elle m'avait montré les photos sur Insta. Elle était intarissable à ce sujet.

-Tu comprends pourquoi j'en rêve jour et nuit ?

Certes, je comprenais, mais comprendre ne m'aidait pas à réaliser ses envies d'évasion.

Petit à petit, à force de rêver devant les vidéos et les photos qu'elle me montrait, je m'étais dit : pourquoi pas ? Pourquoi pas nous ?

J'avais alors décidé de lui payer ce voyage de luxe. Ce serait une surprise incroyable.

Je m'étais mis à gonfler mon horaire dès qu'une opportunité se présentait. J'étais devenu fatigué et irritable, mais je me persuadais que cela en valait la peine. Ma femme serait heureuse. C'était tout ce qui comptait pour moi. La combler de bonheur, peut-être pour ne pas la perdre, pour ne pas la frustrer. 

Pourtant, j'avais souvent l'impression qu'elle en voulait toujours plus, que c'était sans fin.

J'étais coordinateur Datacel pour la SNCB, c'est-à-dire responsable de la coordination, du suivi et du pilotage de toutes les activités dans le cadre de l'analyse des données.

Depuis la pandémie, j'avais souvent l'occasion de faire du télétravail. Je travaillais pendant des heures pour réaliser les rêves de mon épouse. Les nuits devenaient de plus en plus courtes.

Parfois, tout en travaillant, j'observais mon épouse qui se reposait dans le salon. Elle construisait sa vie sans se préoccuper de mon sort. Elle visualisait son avenir avec beaucoup de certitude. Elle savait ce qu'elle voulait alors que moi, je me sentais perdu. J'étais stressé, épuisé, j'étais en train de changer, mais elle ne le voyait pas.

Je devenais quelqu'un d'autre pour l'aider à devenir celle qu'elle désirait.

Peut-être que j'aurais dû lui parler de ce que je ressentais, mais j'avais peur de sa réaction, peur de la contrarier, de la perdre, peur de l'inconnu.

Je préférais gagner plus d'argent pour ne pas devoir assumer le fait que nous nous éloignions. Nous étions pourtant censés nous rapprocher.

Un jour, ma femme m'avait parlé d'un city trip qu'elle souhaitait faire. Elle venait toujours avec des idées surprenantes.

En fait, elle était invitée au mariage d'une amie d'enfance qui se déroulait à Rome. Elle voulait absolument y passer quelques jours, y faire du shopping, trouver une belle robe afin d'assister à la cérémonie le samedi soir.

Elle me demanda de l'accompagner, mais je m'étais déjà engagé à travailler le jeudi, le vendredi et à faire des heures supplémentaires le samedi.

Elle me dévisagea quelques secondes, le temps de digérer mon refus puis elle déclara qu'elle irait avec ou sans moi. Peu importait, elle ne louperait pas ce mariage. Elle devait être de la partie.

Elle n'avait jamais eu peur de voyager seule, puis elle retrouvait ses anciennes amies. Au fond, je n'étais pas indispensable à son bonheur.

Ma présence semblait soudain optionnel. Sa réaction me perturba. Je fixai mon ordinateur face à moi. Il devait être 23h30. Je me sentis stupide, juste bon à bosser comme âne pour remplir notre compte en banque et payer les factures.

La jalousie monta en moi graduellement. Qu'elle le veuille ou non, je trouverais une solution pour l'accompagner. Elle semblait ravie en fait de partir sans moi.

Je réalisai subitement que je n'avais plus confiance en elle comme auparavant. Son attitude me troublait. J'avais l'impression qu'elle m'échappait.

Pourtant, je ne voulais pas lâcher prise, je l'aimais, mais m'aimait-elle autant en retour ? C'était comme si je basculais dans les ténèbres. Le noir m'entourait et je cherchais mon chemin à tâtons.

J'étais épuisé par tous ces mois de travail acharné, j'avais besoin d'un break, et surtout, je n'arrivais pas à la laisser partir seule.

Quelques jours plus tard, je lui annonçai que je l'accompagnais. Surprise, elle me dévisagea avec méfiance :

-Tu as réussi à prendre congé ?

-Ne t'inquiète pas pour ça, je travaillerai de là-bas. Cela me fera du bien de bosser au soleil.

-Tu as le droit de travailler de l'étranger ?

-Bien sûr. Qu'est-ce que ça change de bosser d'ici ou d'ailleurs ?

-Génial ! J'adore le télétravail, avait-elle lancé.

Le jeudi, je me rendis à Zaventem à ses côtés, mon pc portable dans la valise, sans prévenir mon employeur que j'allais prester mes heures en Italie plutôt qu'en Belgique. Personne n'en saurait rien. Du moment que je faisais mon job, n'était-ce pas ça le plus important ?

Lorsque je traversai l'aéroport pour me rendre à la porte d'embarquement, je croisai sans le savoir un collègue qui partait en vacances avec sa famille.

Il me reconnut.

Quinze jours plus tard, lorsque je le croisai dans les bureaux de la SNCB, il me demanda où j'étais parti en vacances devant mon responsable.

Ce fut le début de la fin.

Mon supérieur leva les yeux sur moi avec incompréhension. Il emmagasina l'information en silence.

-Je croyais que tu faisais du télétravail cette semaine-là, que tu n'étais pas en forme pour venir en présentiel ?

Quelques heures plus tard, je fus viré pour faute grave. Lorsque je sortis du bureau de mon supérieur, je me sentis étrangement désemparé. Tout m'échappait. Je ne comprenais pas encore que j'allais tout perdre, mois après mois. Tout ce que j'avais construit depuis si longtemps allait s'envoler.

Ce weekend à Rome, je m'en rappellerai toute ma vie. Ce maudit mariage en Italie, ma course aux heures supplémentaires, mon désir de toujours être à la hauteur, ne jamais savoir dire non.

C'était de ma faute si je n'avais pas su mettre de limites raisonnables. Je n'avais pas su dire non au bon moment ni discuter clairement avec mon épouse pour lui confier ce que je ressentais.

J'avais continué à me taire et à travailler. J'avais accepté que ma vie tourne comme cela sans chercher à réagir.

Je me retrouvai au chômage car une faute grave sur un CV ne donne jamais bonne impression lors d'un entretien d'embauche. Je me mis à déprimer en pyjama dans le divan et à me disputer avec ma femme.

Les malheurs s'étaient enchaînés. Tout sembla incontrôlable, irrattrapable.

J'avais terminé ma course comme un pauvre malheureux dans une gare. 

Le train de nos vies ordinairesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant