Chapitre 30

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Trois semaines que je suis incarcérée, je suis brisée, j'ai toujours l'impression que je vis un cauchemar et que le réveil est pour bientôt.
Pour occuper le temps, j'écris beaucoup et je rase les murs de la maison d'arrêt. Mon statut social m'a permis d'avoir une cellule individuelle, je ne côtoie personne. J'écris et le reste du temps, je me fais oublier. Je ne parle à personne, mis à part à mon cahier de notes.

Alex m'a envoyé une lettre non signée, mais je sais qu'elle vient de lui. Il se réjouit de mon incarcération, je paye le prix de notre rupture. Je regrette tellement de m'être laissée aller à mes envies. J'ai nourri une haine contre lui, je l'imagine souffrir pour le mal qu'il m'a fait. Je deviens une fille pleine d'amertumes, d'idées sombres, je les expose dans l'écriture, pour ne pas sombrer. Trois semaines ont eu raison de moi, il me reste encore des mois à tourner en rond dans un si petit espace, je souffre, c'est dévastateur.

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Deux mois que je suis enfermée, je réalise peu à peu ma situation. Je ne regagnerai pas ma liberté en me réveillant, cette idée loufoque est derrière moi. J'occupe mon temps à faire une introspection sur moi-même, de la méditation. Je sens un changement s'opérer en moi, une forme de renaissance. Je me lève et me positionne devant le lavabo de ma cellule. Je prends la tondeuse que j'ai empruntée à la coiffeuse de la prison. J'enclenche la tondeuse, je souffle fort et je commence à me raser mes cheveux. Au bout d'une demi-heure, il ne reste que quelques millimètres sur mon crâne. Je ramasse mes cheveux, j'en fais don à une association qui les utilise pour des perruques. Je me lave les cheveux, je suis allégée, vivante.

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Quatre mois que je suis enfermée, j'ai accepté ma situation. Je ne ressens plus de haine, je suis en accord avec moi-même. Je relis la dernière lettre de Rosa, je ne lui réponds pas, je fais abstraction du passé. Je vais de l'avant.
Ma porte s'ouvre sur une gardienne de prison.

— Vous avez de la visite.
— Je n'attends personne.
— Ce n'est pas mon problème, bouge ton cul.
— Charmant, Evelyne.
Elle rit.

Je la suis jusqu'au parloir, première fois que j'y mets les pieds. Je n'ai personne à qui manquer. J'étais toxique. La porte s'ouvre sur Andy, j'avance au ralenti. Je ne m'attendais pas à sa présence. Je ne suis personne pour lui, juste cette fille un peu folle avec qu'il a passé plusieurs nuits ensemble.

— Tanya, tu as l'air en forme.

Il fixe mon crâne. Mes cheveux ont un peu poussé depuis que je me suis débarrassée du superflu.

— Tout ce chemin pour me dire ça ?
Il sourit.

— Qu'est-ce qui s'est passé ?
— Pourquoi ça t'intéresse ? Oublie-moi !
— Tu en as profité pour faire un travail sur toi ?
— Oui, contrairement à toi, j'essaye d'aller mieux.
Il resserre les jointures de ses mains.

— Je vais bien, tu peux dormir tranquille. Et demande à Rosa de ne plus m'écrire.
— On n'aurait jamais dû te pousser dans ses bras.
— Je me suis poussée toute seule et j'en ai payé le prix seule.

Je demande à la gardienne de me reconduire à ma cellule. J'espère que cette fois, il a compris le message. Je refuserai tous les parloirs dorénavant.

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Six mois que je suis enfermée, je suis envahie par une sorte d'euphorie émotionnelle, je vais bien. Je ne ressens aucune haine dans mon cœur. Je continue d'écrire, j'aime ça, je me suis trouvée une vraie passion. Je me sens enfin libre, je crois en comprendre la notion. Mes jours passent à une vitesse folle, en prison, enfermée. Je n'ai plus besoin d'occuper mon temps pour faire défiler les heures. Je travaille sur mes histoires, j'écris, les idées me viennent sous forme de flash. Je peux écrire une histoire en quelques jours. Je suis comme en trans quand j'écris. Je me souviens alors d'Andy et de ses peintures, je comprends son état.

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Neuf mois que je suis enfermée, je vais être libérée, mais je suis déjà libre depuis des semaines. J'attends qu'on vienne me chercher pour accomplir de grandes choses. Je le sais au fond de moi que je vais mieux, je n'ai plus cette pression psychologique de vouloir qu'on m'aime, qu'on ne m'abandonne pas. Je ne suis plus toxique. Je m'en convaincs avec ferveur que je suis guérie.

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C'est le jour de ma libération, des mois à attendre ce moment. Je range mes affaires, mes écrits que je compte envoyer à des maisons d'édition. Je suis une nouvelle femme. J'ai perdu beaucoup, mon métier, ma vie d'avant.
On me rend mes effets personnels, je les range dans mon sac, nous parcourant plusieurs couloirs où des portes métalliques me séparant de l'extérieur. Nous y sommes, c'est la dernière porte. Evelyne me regarde en souriant. Elle ouvre la porte, il fait si beau. Je suis entrée en prison en automne, nous sommes maintenant en été.

— Je ne veux plus te revoir ici !
— Compte sur moi, Evelyne.

Elle me fait une accolade et je franchis le seuil de la porte.

ToxicOù les histoires vivent. Découvrez maintenant