Chapitre 37

814 252 2
                                    

Deux mois se sont écoulés, je me balade dans les bois, comme quand j'étais enfant. Je me reconnecte avec la nature, les choses simples de la vie. Dans cette communauté, on réapprend à vivre avec son image. On vit loin des tracas de la vie de tous les jours, on purifie notre âme. J'ai su que cette fois, je m'en sortirais. Des semaines à pleurer ma souffrance et à évacuer chaque once de douleurs de mon corps. Je suis entourée, je ne suis plus seule.

La balade est finie, je rentre au chalet pour me réchauffer. Je m'assois devant la cheminée, c'est si paisible. Après deux mois sans moyens de communication, je suis autorisée à utiliser mon téléphone. Je fixe cet objet dans les mains, qui autrefois était le complice de mes angoisses. Je l'allume, mais rien ne me vient en tête. Je n'ai pas envie de contacter qui que ce soit. Je ne souffre plus, il ne m'est d'aucune utilité. Je le pose sur la table basse et me reconcentre sur le feu.

Dans la soirée, je me rends à la cérémonie du feu. Des nouveaux arrivants, paumés comme je l'ai été, sont assis autour du feu. Ils nous fixent comme des phénomènes de foires, mais ils savent qu'ils sont au bon endroit. Marie, notre psychothérapeute, leur explique le fonctionnement. Nous sommes là pour nous réapproprier notre image.

— Bien, nous allons commencer, nous avons deux nouveaux pensionnaires.

Tout le monde pose les yeux sur eux.

— Tanya, tu veux bien commencer. Comment te sens-tu aujourd'hui ?

— Plutôt bien. En fait, je me sens normale.

— Qu'est-ce qui a déclenché cet élan de normalité ?

— Quand je suis arrivée ici, j'étais une femme étouffante, harceleuse, j'utilisais mon téléphone comme une extension de moi-même. Mais aujourd'hui, je l'ai eu entre mes mains et je n'ai rien ressenti.

— Bravo, Tanya. Nous sommes toutes fières de toi.

Tout le monde me soutient du regard, ça réchauffe mon cœur. Les autres pensionnaires prennent le relais. Certains ont encore du mal à se détacher de leur vice d'avant. Pour certains, c'est le jeu, pour d'autres la drogue et pour moi la dépendance affective. J'ai enfin mis un mot sur mon mal qui me rongeait de jour en jour. La séance se finit, on retrouve nos chalets.

———————

Cinq mois se sont écoulés, c'est le moment, je dois laisser ma place à quelqu'un d'autre. Une fois pris en charge dans cette bulle de quiétude, il est difficile de s'en détacher. Peut-être la peur de repartir dans ses travers. Je prie chaque jour de devenir une meilleure version de moi-même.

Je finis de ranger mes affaires, je tiens dans mes mains mon livre que j'ai réussi à faire éditer par une petite maison d'édition. Il est parfait, comme je l'imaginais. Des semaines à l'écrire, à y mettre mon âme, mes pensées les plus destructrices. Il est disponible en vente, j'attends d'avoir des retours du public.
Je me dirige vers le bureau de Marie, elle s'arrête et se lève et me prend dans ses bras. Les adieux sont déchirants, j'aurais préféré ne jamais quitter cet endroit.

— Maintenant, Tanya, tu as toutes les clés en main.

— J'ai toujours peur de ne pas y arriver.

— Il faut que tu aies confiance en toi. Si tu doutes, pense à ce que tu as accompli. Tu as toujours mon téléphone si ça ne va pas, mais je ne m'inquiète pas.

— Merci.

Je la prends dans mes bras, puis je rejoins ma voiture. Je démarre dans l'autre direction cette fois. En venant ici, je manquais de discernement, de lucidité. Au retour, je suis rationnelle et j'ai les yeux grands ouverts.

Je roule les quatre heures de route en faisant le vide dans ma tête. Je ne pense à rien, je ne me prends plus la tête avec des futilités. Je laisse mes pensées en paix. Je suis devant chez moi, mon cœur est serein, je n'ai aucune crise d'angoisse, je suis en paix. J'ouvre la porte de mon appartement, poussiéreux, où le silence me rappelle à l'ordre. Mais je ne craque pas, je me réapproprie cet environnement complaisant de mon mal antérieur.

Les heures suivantes, je nettoie l'appartement, je me fais livrer des courses pour éviter de m'exposer au monde extérieur. Je veux garder cette sérénité le plus longtemps possible. Au bout de quelques heures, mon téléphone sonne. Je l'avais complètement oublié, je décroche.

— Marie, comme je suis contente de t'entendre.

— Tout va bien ?

— Oui, je me réinstalle chez moi, c'est étrange.

— Pourquoi ça ?

— J'ai l'impression de redécouvrir les lieux.

— C'est très positif, Tanya.

On raccroche, je m'installe avec un bon livre dans le canapé. La télévision restera éteinte, je souhaite rester dans ce détachement technologique le plus longtemps possible.

ToxicOù les histoires vivent. Découvrez maintenant