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2 ans plus tôt... 2022

PDV Gabriel

La course à la présidentielle était lancée depuis quelques jours. J'avais beaucoup de travail à effectuer pour aider à la campagne d'Emmanuel Macron : c'était un réel défi pour moi de militer pour lui, pour son parti. Il me faisait confiance et je ne voulais surtout pas le décevoir. J'avais beaucoup à gagner si je réussissais cette mission : j'avais envie de faire la fierté de mes proches. Avec mon équipe, nous étions presque toujours ensemble pour se mobiliser auprès de nos concitoyens, j'enchainais les interviews, les émissions de radio...

D'ailleurs, j'avais été convié pour un débat aujourd'hui avec... Jordan Bardella. Il avait énormément progressé ces dernières années : au niveau de l'éloquence, au niveau du physique aussi. Il avait grandi, gagné en maturité et en assurance. Je devais l'avouer j'étais assez curieux de constater de mes propres yeux son évolution, sans être influencé par ce que je voyais par les réseaux de télécommunications. 

À quelques minutes de le revoir, je réajustai soigneusement ma cravate, encouragé par les membres de mon équipe. J'étais un peu nerveux alors que je connaissais très bien les thèmes abordés. Ça me faisait toujours ça avant d'être sur le plateau, on ne s'y habituait jamais vraiment. 

On m'accompagna ensuite dans les "coulisses" et je m'installai à un tabouret, attendant le signe pour me diriger vers le plateau. Je notai qu'on me filmait déjà et je réalisai que c'était pour un reportage qui allait être diffusé bientôt sur moi et Jordan Bardella. 

Ce-dernier arriva lui aussi en saluant discrètement tout le monde avec un sourire. Il me tendit une poignée de main que je saisis et relâchai presque aussitôt. Il prit place près de moi. Je feignis l'indifférence en agissant comme je faisais d'habitude : je regardais les actus sur mon téléphone. Du coin de l'oeil, je vis Bardella prendre ses petites fiches et il s'adressa tout à coup à la caméra en disant : 

- Ne cherchez pas, vous n'aurez pas le débat avant le débat. 

Cette remarque me fit sourire et je me détachai de mon écran. Le reporter répliqua : 

- Vous avez l'air plutôt apaisé là avant de débattre... 

Je ne savais pas forcément quoi dire, je n'arrivais pas à saisir ses intentions : c'était évident qu'on agissait normalement non ?

- On ne va pas faire un combat de boxe non plus ! rétorqua Bardella, aussi circonspect que moi. 

Le reporter ne se laissa pas démonter : 

- C'est quand même deux idées, deux projets totalement opposés...

Je le coupai : 

- Oui mais ça ne veut pas dire qu'on doit être là à se taper dessus... On va débattre...

C'était absurde pour moi qu'on puisse penser qu'on agirait comme deux personnes immatures juste parce qu'on militait pour le parti opposé à l'autre. 

- Comme quand vous prenez le bus, ajouta Jordan Bardella, parfois vous êtes à côté de quelqu'un, vous ne votez pas pour la même personne et vous ne vous tapez pas dessus : là c'est pareil. 

Je réprimai un sourire par rapport à sa métaphore mais il m'avait sauvé la mise. 

C'était à nous de jouer. La courtoisie que l'on avait gardé en coulisse se métamorphosa en une lutte intellectuelle. Nous avions tous deux des objectifs communs et nous savions tous deux ce qui était en jeu. Nous étions face l'un à l'autre et la présentatrice introduisit le débat. 

Je corrigeai ma posture et affichai une détermination mesurée. J'avais toujours eu une répartie aiguisée mais il fallait avouer que Bardella se défendait plutôt bien. Malgré tout, je dus me reprendre plusieurs fois quand je sentais que mon attention s'attardait davantage sur ses traits que sur ces mots. Il dégageait quelque chose à fois de perturbant et fascinant. Par contre, ses idées me faisaient revenir les pieds sur terre assez rapidement.

- D'abord c'est un détail, repris-je en voulant le contredire,  mais vous disiez que le lendemain de son élection elle baisserait la TVA à 5,5.. juste il faut une loi pour le faire donc même si elle était élue, il faudrait attendre l'été pour avoir une majorité...

- Mais c'est ce qui nous différencie... riposta Bardella, piqué au vif.

- Ça montre une nouvelle fois que vous rac...

- Mon cher Gabriel Attal, compléta-t-il, avec une moue si craquante qui me déstabilisa à la seconde. 

- Ça montre une nouvelle fois que vous êtes prêt à raconter n'importe quoi ! répétai-je, le coeur battant, retenant l'émotion avec peine. 

Je ne pouvais plus garder un masque d'indifférence en prenant conscience de la manière dont il m'avait interpellé. Je me secouai mentalement et terminai mon discours, le plus sérieusement possible mais à l'intérieur, je bouillonnais. De rage, j'espérais bien...

Quelques secondes plus tard, le débat était enfin terminé. J'en fus soulagé et me préparai à partir. Je saluai la journaliste et je me souvins de l'autre équipe qui nous filmait pour l'émission. Par conséquent, avant de repartir dans les loges, je me tournai vers Bardella et lâchai doucement : 

- C'est court mais on se reverra.

- Oui je pense, dit-il, en souriant, un peu intimidé.

À croire que l'on changeait de personnalité lorsqu'on était en plein débat et qu'une certaine réserve s'installait par la suite, nous qui étions si dynamique sur le plateau. En sortant, je ne pus m'empêcher de regarder s'il me suivait mais je savais qu'on allait se revoir une semaine plus tard à cause de la campagne. 

Je fus étonné de voir qu'il n'y avait personne dans ma loge : ils étaient sans doute sortis prendre l'air en attendant que je termine. Tant mieux, j'avais besoin de quelques instants de solitude. Je fus secoué par des émotions contradictoires mais je ne me donnais pas la peine de les identifier. Je passai rapidement de l'eau sur mon visage afin de me rafraichir la tête et l'esprit. 

" Mon cher Gabriel Attal". Ces mots résonnaient encore dans mon cerveau et le même sentiment de délectation me parcourait en repensant à son expression après les avoir prononcés.

- Reprends-toi mon vieux, tu divagues... me dis-je, perdu dans toutes ces sensations. 

Je levai les yeux vers le miroir en face de moi et crus voir Bardella derrière moi.

Non mais je divague vraiment : voilà que je commence à le voir partout maintenant.

En me retournant, je compris que ce n'était pas une hallucination. 

Il était là, en face de moi. 

Jordan Bardella. 

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source pour l'inspiration: émission "les deux lieutenants" et débat 2022. 

Parti pris pour l'amour - Bardella X AttalOù les histoires vivent. Découvrez maintenant