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PDV Jordan

J'étais gêné. J'avais voulu faire le fanfaron pour l'embêter et au final, ça n'avait pas eu l'effet escompté. Quelle ironie... Le retrouver sur ce vol et pouvoir converser avec lui... J'avais été sidéré de le revoir et immanquablement, à chaque fois que je l'apercevais, dans les médias, dans la presse, je repensais à ce qu'il m'avait dit quand j'étais encore au lycée. C'était un mantra que je gardais bien précieusement en tête.

Et me revoilà aujourd'hui avec encore cette chance absurde d'échanger avec Gabriel : cette personne qui avait su se démarquer jeune dans ce milieu.

Je sentais qu'il m'observait mais j'avais encore honte. J'aurais aimé qu'il eût une bonne impression de moi, mais je savais que d'une certaine façon nous étions rivaux de part nos choix politiques. Je voulais dire... j'aurais aimé avoir un ami comme lui aussi passionné que moi et pouvoir partager ensemble.

Je me ressaisis et tournai les yeux vers lui. Il paraissait fatigué, sa coupe était un peu négligé mais ça lui allait bien. Et son regard portait une fragilité troublante.

- Et si on parlait un peu de votre notoriété Monsieur Attal ? m'enquis-je, reprenant contenance.

Il se trémoussa et porta son attention vers le paysage en contrebas.

- Avec le temps on s'y habitue. J'essaie de faire les choses bien avec rigueur et discipline. Et surtout de garder une certaine authenticité avec les Français même si ce n'est pas évident dans ce domaine... de rester soi-même.

J'étais très attentif à ses paroles. Je compris que c'était quelqu'un de profondément humain : il avait une sensibilité qui me touchait profondément.

- Il est important aussi de garder un certain recul par rapport aux autres, ce n'est pas évident à gérer, sinon on peut se laisser bouffer très rapidement, renchérit-il.

- Je suis d'accord avec vous, acquiesçai-je lentement. Plus on gagne en notoriété, plus il faut de la discipline dans la capacité de gérer les choses de la manière la plus juste pour soi et les autres. Ce n'est pas évident.

- Tout à fait, d'ailleurs c'est amusant de constater qu'on te demande des selfies dans la rue assez fréquemment, on peut être un modèle pour certains, surtout les plus jeunes, c'est une responsabilité en plus.

- Oui vous avez raison, souris-je.

Je savais qu'il ne restait pas beaucoup de temps de vol mais pour une raison obscure je ne voulais pas que ce moment s'arrête : j'avais envie de continuer à échanger avec lui. 

Gabriel Attal me fascinait.

- Et vos proches ? Ils ont réagi comment au début ? me demanda-t-il, d'un ton doucereux.

Je lui expliquai subrepticement mes conditions de vie plus jeunes dans mon quartier,  mes origines et comment s'était passé mon orientation professionnelle. Il était très concentré dans ce que je disais, c'était plaisant de se sentir vraiment écouté. J'avais aussitôt la nette impression que je parlais toujours pour un parti mais que je ne prenais jamais le temps de me confier à quelqu'un finalement.

Avais-je autant besoin de me sentir écouté et compris ?

- Le harcèlement je connais et c'est un sujet qui me tient à coeur, je pense qu'à un moment je pourrais mettre des choses concrètes en place à ce niveau-là, du moins je l'espère vraiment, commenta-t-il, quand on parla du jugement d'autrui à l'école. 

J'eus envie qu'il m'en dise plus sur ce qu'il avait vécu mais il parut tout à coup nerveux.

- Je dois vous laisser, Jordan Bardella, mon acolyte va se demander où je suis passé et on ne va pas tarder à atterrir, m'expliqua-t-il.

Pris au dépourvu et fourmillant encore d'interrogations à son sujet, je ne pus que répondre : 

- Oui bien sûr, je comprends...

Je me levai à contrecoeur et crus déceler une expression de regret sur son visage. 

Il devait regretter d'avoir échangé avec moi... 

- Au revoir Monsieur Attal, lui dis-je poliment.

J'allai retourner à ma place quand il m'interpella : 

- Attendez Jordan... euh Bardella ... désolé mais je pense que l'on s'est déjà rencontrés bien plus tôt non ? Puis votre quartier, ça me dit quelque chose...

Je revins vers lui, sachant pertinemment à quel moment il faisait référence mais je désirais qu'il s'en souvint par lui-même. 

- Oui, non, c'est possible, je vous laisse méditer là-dessus... murmurai-je, moqueur.

Exaspéré, il leva les yeux au ciel : je me réjouissais de l'embêter de la sorte.

- Jordan Bardella... commença-t-il. (mon sourire s'élargit)  Bon... tant pis. Vous pouvez disposer si vous ne souhaitez pas m'aider, ajouta-t-il, vexé.

- Au revoir, Gabriel... euh Attal, me repris-je, ne voulant pas instaurer une familiarité contre son gré. 

Je retournais à ma place et lui aussi. Mon coeur battait à tout rompre, face à ce qui s'était passé. J'étais content. Non, j'étais euphorique de cette rencontre impromptue. 

Machinalement, je pris mon téléphone et allai sur mes réseaux sociaux. Puis sur mon compte Instagram, je tapais machinalement som nom et son prénom dans la barre de recherche.

L'avion commençait sa descente. Je fis attention à a réduire au maximum ma luminosité et à scruter ses publications, ses photos. Plus je le contemplais, plus je l'admirais en tant que personne.

J'eus un petit pincement au coeur en réalisant que je ne pourrais plus le revoir ou discuter avec lui de si tôt. Je pourrais comme tout le monde avoir de ses nouvelles via les médias ou les réseaux. J'étais frustré et cela m'agaçait.

Je tentai de m'évader l'esprit en pensant à autre chose et ça tombait bien nous étions arrivés.

* * *

PDV externe

L'avion se stoppa et le personnel de bord commença la mise en place du débarquement.

Gabriel discutait avec Max de leur prochaine destination mais son esprit était ailleurs.

Plus loin, Jordan aussi s'apprêtait à sortir : il réagissait mécaniquement à ce qu'on lui disait, un peu étourdi.

Ils revenaient tous deux à la réalité, à croire que ce vol était suspendu dans le temps et qu'il était venu l'instant pour tout le monde de reprendre sa route.
Au dernier moment, ils se cherchèrent du regard, comme un instinct de survie.
Le réflexe de deux âmes qui s'étaient reconnues.


(A suivre..)







Parti pris pour l'amour - Bardella X AttalOù les histoires vivent. Découvrez maintenant