Ovocet 1151, région des rivières.
Le souffle court, le Chasseur s'arrêta en haut d'un monticule de terre. Il plaqua sa main contre sa hanche douloureuse et tenta d'apaiser la brûlure dans ses poumons. Il s'aperçut combien vingt-cinq années de traque pesaient sur ses épaules et songea à la retraite qu'il pourrait bientôt s'offrir, sans doute quelque part sur les rivages de Cherzan. Il tenait par-dessus tout à ce que le nom de Carsis Bramin reste dans la profession comme synonyme d'efficacité.
Tandis qu'il calmait sa respiration haletante, l'espace d'une poignée de secondes, son regard vagabonda à travers la forêt. Le feuillage des arbres filtrait les rayons du soleil par de larges trouées et l'inondait de lumière. Une multitude de bruits parvenaient à ses oreilles : outre les piaillements d'oiseaux et la légère brise d'été qui balançait les branches avec douceur, une chute d'eau bruissait un peu plus loin, comme un écho.
Carsis se reprit enfin. Il s'était rapproché de l'Edil, un petit affluent du fleuve Aïcko. Des reflets lumineux encombraient sa vue, mais il repéra sa cible qui se ruait vers la rive. Il avait certes réussi à la blesser, mais elle restait véloce. Quelle surprenante créature.
Il s'élança à sa poursuite. Ses foulées s'allongeaient à mesure qu'il la rattrapait et cette liesse qu'il ressentait durant la battue gonflait en lui. Le vent sifflait à ses oreilles, étirait au passage un sourire sur son visage ; l'excitation lui donnait des ailes.
D'un pas agile, il se faufila entre les rochers blanchâtres. Bien qu'il se trouve en haut de la cascade, la brume l'enveloppait, pourtant il distinguait à présent l'entaille au flanc de sa proie. Elle l'entendit arriver, se retourna et lui lança un coup d'œil terrorisé avant de reprendre sa fuite en boitillant.
L'homme s'empara de l'arc qu'il avait rangé à son épaule et l'arma. Il se campa solidement sur ses jambes, retint sa respiration et s'apprêta à décocher le trait, quand la créature bondit sur sa gauche.
— Arrête de bouger ! siffla-t-il entre ses dents.
Il se redressa quelques secondes et constata que ce soudain changement de direction n'avait rien de volontaire : sa proie manquait de vaciller à chaque foulée. Ce genre de marchandise avait plus de valeur en vie : il devait réussir à l'immobiliser sans la tuer ! La blesser, même gravement, ne poserait pas problème grâce aux mélanges curatifs qu'il gardait sur lui. Il reprit sa course, frustré, quand il se rappela à quel point l'eau pouvait se révéler dangereuse lorsqu'il s'agissait de chasser ce type de créatures.
À mesure qu'il avançait, le brouillard s'élevait et le bruit de la cascade s'intensifiait. Il chercha vite un moyen de passer l'Edil si nécessaire et aperçut un ensemble de rochers plus loin. Risqué, mais pas impossible.
La créature atteignit enfin la rivière et y fit quelques pas mal assurés. Le Chasseur sentit son sang se glacer dans ses veines : si elle parvenait à rassembler ses forces, elle la traverserait sans doute avec aisance. Sous ses yeux, elle tenta d'accélérer.
Et tomba de tout son long.
Un mélange de stupeur et de satisfaction figea Carsis sur place. Il rangea son arc dans une hâte fébrile et se rua sur sa cible.
Elle tenta de se relever, mais chancela, trempée et terrifiée.
L'homme pénétra dans la rivière jusqu'aux genoux et grimaça quand le froid s'infiltra dans ses bottes et ses vêtements. Il sortit un coutelas de sa ceinture, le cœur battant à l'idée d'atteindre son but. La créature gisait à ses pieds, la respiration sifflante. Son regard bleu tremblait de panique.
Il empoigna la Sorcière par les cheveux et l'obligea à se relever en lui pressant sa lame sous la gorge. Les mains de sa proie se positionnèrent afin d'utiliser la magie, mais il resserra sa prise et lui lança :
— Inutile d'essayer ! Cette fois c'est fini, je t'amène à Froidelune.
Il resta de marbre quand la jeune femme gémit de douleur ; la panique l'empêchait d'user de ses dons. Elle chercha à se dégager de son étreinte. Ses doigts glissèrent avec maladresse sans réussir à défaire la poigne qu'il maintenait dans sa chevelure écarlate. Il tâchait de l'extirper du courant quand ses pieds dérapèrent sur les galets. Elle en profita pour lui asséner un violent coup de coude sous les côtes. Le souffle coupé, il la relâcha.
La fuyarde s'éloigna de son poursuivant ; ses enjambées désordonnées éclaboussèrent les alentours avant de se faire plus fluides. Une vigueur nouvelle la faisait avancer avec bien plus d'aisance que sa blessure n'aurait dû le lui permettre.
— Saloperie d'élémentaliste... ! grommela Carsis.
S'il n'agissait pas, elle parviendrait bientôt à marcher sur la rivière. Il se dégagea du courant et se hâta avec difficulté vers les rochers qui la parcouraient, en espérant ne pas avoir à les utiliser : malgré son habileté, il risquait de se briser le cou. Ce ne fut qu'en arrivant à hauteur de la femme blessée qu'il comprit avec horreur quelle était son intention : elle ne comptait pas traverser, ses pas la menaient vers un tout autre endroit.
Toujours sur la rive, il prit son arme avec une rapidité fulgurante, encocha une flèche, banda l'arc. Les mains crispées par l'adrénaline, il envoya un trait vers l'épaule de sa proie.
La Sorcière sauta du haut de la cascade.
La flèche siffla près de sa tête avant de se perdre au loin. Pétrifié, l'homme contempla la jeune femme tandis qu'elle initiait un plongeon disgracieux pour accompagner la chute d'eau. Il se ressaisit et se précipita au bord de l'escarpement. Cette fois-ci, il ne prêta aucune attention à la vue qui s'offrait à lui.
À travers la brume, le Chasseur attendit de longues minutes, scruta le bouillonnement en contrebas, examina la moindre parcelle de couleur. En vain. La femme avait disparu.
— Saleté... Je sais que tu as survécu.
De rage, il jeta son arme à terre. Déjà trois semaines qu'il poursuivait cette élémentaliste, mais jamais il n'avait été aussi proche du but. Il avait atteint sa quarante-deuxième année. La fin de sa carrière approchait et il souhaitait profiter de chaque instant de traque, ainsi que jouir d'une retraite dorée grâce à ses dernières missions. Échouer à capturer cette inconsciente qui s'était d'elle-même éloignée de son habitat le piquait dans sa fierté. Il ne l'accepterait pas.
La déception s'effaça peu à peu pour laisser place à la frénésie. La chasse reprenait ! Et peu importait le temps qu'il lui faudrait, il attraperait cette Sorcière.
Carsis ramassa son arc et s'écarta de la rive avec lenteur. La prochaine fois serait la bonne.
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L'Arbre de Feu - Livre 1 [V2]
FantasyNote importante : ceci n'est pas la version définitive du texte. Si vous souhaitez la consulter, c'est par ici : https://www.cafecobalt.fr/histoire/arbre-de-feu-1/ Sur le continent comme dans les îles, Hommes et Sorcières se vouent une haine milléna...