Chapitre 14 : Représailles (partie 3)

98 24 5
                                    

L'eau se faufilait entre les doigts de Nara, s'enroulait autour de ses bras ; ceux-ci esquissèrent des gestes plus sereins, plus précis, et la gerbe d'eau l'entoura à la manière d'un immense anneau. Elle le fit tournoyer quelques secondes avant de le laisser rejoindre avec douceur le cours du ruisseau.

L'onde froide lui engourdissait les pieds, mais depuis plus d'une heure déjà, l'élémentaliste effectuait des mouvements qu'elle avait appris à l'école : rassurants, esthétiques... et inutiles dans un combat. L'aspect guerrier de cette spécialité n'était jamais évoqué avec les enfants. Donc, quand ils devenaient adultes et devaient défendre leur vie, ils réagissaient à l'instar de Nara : de façon désordonnée voire désespérée. Les éraflures sur ses bras et jambes en témoignaient.

— Nara ?

La voix d'Arlam parvint à l'Aïckoise malgré sa concentration. Enveloppé de son manteau, il croisait les bras pour se tenir chaud. Pourtant, ses pieds étaient nus et couverts de terre.

Après avoir marché plusieurs heures, les Sorcières survivantes avaient monté un camp de fortune. Lucanos avait généré un brasier afin de les réchauffer. Certains enfants avaient paniqué à la plus petite étincelle. Dans ce nid de clair-obscur, loin des Hommes et de leurs ravages, on avait compté les survivants. La majeure partie du cercle avait réussi à s'échapper, mais des sanglots s'étaient élevés à plusieurs reprises : dans certaines familles, notamment celles habitant sur les rives, les Chasseurs avaient atteint leurs cibles. On avait offert aux quelques dépouilles un semblant de rituel funéraire, mais le sort de la plupart des victimes restait encore incertain, entre la mort et la captivité. À mesure que le jour se levait, le temps semblait s'étirer, s'alourdir.

D'ici une journée de vol, ils atteindraient le lac et le temple de la Tortue. Les conseillères du cercle affirmaient qu'il constituerait, dans un avenir lointain, le point de départ idéal pour la reconstruction du cercle. Nara ne pensait pas que ses consœurs étaient prêtes à rebâtir tout ce qu'elles avaient perdu.

— Izor est réveillée. Elle veut repartir pour le lac.

L'élémentaliste soupira, toujours incapable de s'imprégner pleinement des événements de la nuit passée. Izor, inconsolable, s'était laissée emmener par la Gardienne sans dire un mot. Secouée de sanglots, elle n'avait cessé de trébucher et se rattraper au bras de celle-ci. La nuit lui avait sans doute porté conseil.

Esra quant à lui s'était occupé de leur mère sans relâche. Nara lui avait proposé son aide, mais pour une raison qui lui échappait, Olendra ne cessait de hurler dès qu'elle s'approchait. Son frère avait alors décliné l'offre et était parti à l'avant du cortège.

— Allons-y, souffla Nara.


***


Le lac d'Aïcko formait un œil immense et opalin, dont les affluents et confluents partaient à la manière de cils interminables. Du moins, Nara se l'imaginait ainsi : elle peinait à voir la rive opposée et, quelques centaines de mètres plus loin, supposait l'existence de rivières qui s'enfuyaient plus bas vers les collines. Vers le nord, elle apercevait la chaîne de montagnes où l'Aïcko prenait sa source.

— Le temple se trouve un peu plus loin, déclara Izor.

La Reine, encore sous le choc, donnait des ordres clairs, mais parlait avec une mollesse inhabituelle. Nara aurait voulu la gifler, la forcer à réagir, plus par inquiétude que par colère. Cette attitude ne lui ressemblait pas : la souveraine, d'ordinaire pleine de vivacité et de mordant, lui évoquait à présent une femme fatiguée, presque vieillissante.

L'Arbre de Feu - Livre 1 [V2]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant