Olendra Tialle, les yeux perdus quelques part dans le morceau de paysage visible par la fenêtre, ne lâchait pas la main de son fils. Esra contemplait avec tristesse son visage fatigué, ses grands yeux cernés de gris, la pâleur de ses lèvres. Elle avait eu cinquante ans l'année précédente, mais il aurait pu lui en donner dix supplémentaires si sa chevelure n'avait pas conservé sa teinte noir de jais.
— Tu as faim, Maman ? Soif ?
Olendra secoua la tête avec une lenteur somnolente. Esra espéra que l'alchimiste en charge de sa mère ne l'avait pas gavée de plantes calmantes.
— Il fait chaud, aujourd'hui, murmura-t-elle.
Sa bouche se craquela quand elle se mit à parler ; du sang perla sur une crevasse. Esra chercha sur lui un onguent pour arranger ça, mais il cessa quand il s'aperçut que ses mouvements perturbaient sa mère.
La mort de son mari et la grave blessure de son héritière avaient attaqué la force mentale d'Olendra, qui avait tout d'abord arrêté de manger, puis de sortir de chez elle. Lorsque Esra était parti trouver un remède pour sa sœur, elle refusait de voir qui que ce soit, enfermée dans sa chambre à longueur de journée.
Quelques mois auparavant, à son retour dans le cercle, il avait découvert qu'elle avait complètement perdu la raison : Nara avait pris soin d'elle au début, et sa condition n'avait fait qu'empirer. La Reine Izor s'était arrangée pour missionner un spécialiste à son chevet au quotidien. Mais si, comme ce jour-ci, elle était habituellement d'un calme engourdi, elle entrait parfois dans d'incontrôlables crises.
Esra frissonna lorsqu'un petit filet d'air se faufila par l'entrebâillement de la porte.
— J'ai chaud, soupira sa mère.
À contrecœur, l'alchimiste enleva la couverture de ses épaules et la plia avec soin. Il craignait qu'en plus de son état actuel, elle ne développe une maladie qui nécessiterait de l'envoyer à Erroubo, où les alchimistes possédaient une expertise bien plus profonde.
— Maman, tu sais quel jour on est ?
Elle ne répondit pas ; le dos de ses mains osseuses vint frotter ses propres joues à la manière d'un animal.
— Olra a vingt-huit ans aujourd'hui Maman. Je ne l'ai pas revu depuis qu'il est parti, mais si je le croise en voyageant, tu veux que je lui dise quelque chose ?
Un tic nerveux secoua sa bouche, celui-là même que Nara affichait quand elle était mal à l'aise. Elle commença à se gratter le visage et son fils dut retenir les mains de sa mère pour s'assurer qu'elle ne se grifferait pas.
— Nara voulait te voir, mais elle a eu un contretemps...
Cette fois-ci, les doigts d'Olendra se serrèrent autour de son bras ; sa poigne encore solide le surprit un instant.
— Dis à Olra de ne pas pousser Nara, c'est notre seule fille. Elle est encore si petite...
Avec un pincement au cœur, Esra passa une main dans le dos de sa mère et répondit :
— Maman, tout ira bien pour Nara. Elle a déjà survécu à bien pire. Et Olra...
Durant cette pause involontaire, Esra pinça les lèvres. L'évocation de son frère aîné lui déplaisait toujours depuis que ce dernier avait quitté le cercle. Si on pouvait lui reprocher les mêmes faits, il considérait cependant ses propres intentions comme plus nobles : Olra était parti du nid familial après une énième dispute sur son héritage. Avant la naissance de Nara, il recevait tous les honneurs, mais dès l'arrivée d'une fille dans la famille, la donne avait changé. Et dès qu'il en avait eu l'occasion, l'aîné avait fui sans jamais donner de nouvelles.
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L'Arbre de Feu - Livre 1 [V2]
FantasyNote importante : ceci n'est pas la version définitive du texte. Si vous souhaitez la consulter, c'est par ici : https://www.cafecobalt.fr/histoire/arbre-de-feu-1/ Sur le continent comme dans les îles, Hommes et Sorcières se vouent une haine milléna...