Chapitre 19 : L'Impératrice (partie 1)

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Chaque cercle possède son mode de fonctionnement propre ; leurs valeurs sont aussi changeantes et étrangères entre elles que peuvent sembler pour nous celles de Maréal ou d'Erroubo. D'une certaine façon pourtant, les cercles dépendent tous de celui de Pzerion, où trône l'Impératrice, et qui se situe dans un archipel dont les Hommes ne reviennent jamais. Je vous fais ainsi parvenir ce manuscrit après la dernière étape de mon périple, ici, dans ce qui pourrait être considéré comme la capitale sorcière. 


- Extrait des « Voyages en Terres Sorcières » d'Aldon Varret, an 903


Bourier 1151, cercle de Pzerion


Les embruns disséminaient quelques gouttes sur le visage de Nara, pourtant perchée en haut de la selle sur la tortue. L'archipel de Pzerion se dessinait au loin, et les eaux se faisaient plus tumultueuses à mesure que l'animal s'en approchait. Pour la première fois, l'élémentaliste allait découvrir le grand cercle. Un rictus moqueur s'étira sur ses lèvres : des nobles dans une tour d'ivoire, sans la moindre considération pour le sort de leurs consœurs, voilà qui résumait bien Pzerion selon elle.

— Dommage qu'Izor ne voyage pas avec nous et que le Roi Pajera ait des obligations avant de pouvoir venir, soupira-t-elle. Une Reine à nos côtés nous aurait ouvert les portes du palais.

— Ne t'en fais pas pour ça, intervint Javeet. Jahanna m'attend depuis des mois, afin que je lui fasse mon rapport. Crois-moi, elle va nous accueillir à bras ouverts.

— Elle t'attend, vraiment ?

Le sourire confiant de l'espion la rassura un temps, mais avant que la nervosité ne la regagne, les premières esquisses du cercle captèrent son attention. À cheval sur plusieurs îles, dont la plus centrale abritait les quartiers officiels, le grand cercle ne ressemblait à aucun autre : ni habitarbres reliés de passerelles arachnéennes, ni cours d'eau que défiaient des constructions sur pilotis, et encore moins de petites maisons espacées de chemins tortueux. Le bois laissait la place à d'immenses ponts de métal qui effectuaient des courbes élégantes afin de rallier entre elles les différentes parties du cercle. Des embarcations aux voiles colorées voguaient sans crainte sous ces longs bras d'acier. En plissant les yeux, Nara s'aperçut que parmi les bateaux slalomaient quelques tortues, aux proportions plus modestes que celle sur laquelle le groupe était parti du port près d'Itera. Les Sorcières troquaient des denrées diverses : aliments, philtres, ou encore vêtements, contre de petits sacs de peau, remplis de la monnaie locale. Un véritable marché s'organisait entre les pans de terre qui composaient Pzerion.

Au-dessus de la mer, Nara eut une nouvelle surprise : des édifices de verre, de bois et d'acier s'élevaient, brillants dans le zénith. Les habitations les plus simples jaillissaient sur plusieurs étages. Bouche bée, elle se tourna vers ses compagnons pour découvrir qu'eux aussi semblaient stupéfaits devant de telles bâtisses ; Javeet lui-même parut ému de retrouver son foyer.

— La population de Pzerion est inférieure à celle du Bois Refuge, expliqua Arlam de son habituel ton érudit, mais elle est évidemment plus concentrée. Ces immeubles sont apparus grâce au travail expérimental de certaines élémentalistes ayant immigré ici.

— C'est magnifique... admit Esra. Mais ça ne ressemble à rien de sorcier, à vrai dire.

— C'est parce que les élémentalistes dont parlait Arlam ont été aidés par des Hommes.

La réplique de Javeet surprit les autres.

— Vous savez, rebondit Talleck, mon peuple a réalisé de grandes avancées en matière d'ingénierie. Pour les élémentalistes, construire est d'une simplicité enfantine, mais vous faites parfois des erreurs qui fragilisent vos maisons. En combinant nos connaissances aux vôtres, ce n'est pas si étonnant que l'on parvienne à de tels prodiges.

L'Arbre de Feu - Livre 1 [V2]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant