Chapitre 19 : L'Impératrice (partie 2)

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— Elle est très bien ma tenue, gronda Luan.

De l'autre côté de la porte, Lucanos ne répondit pas, trop occupée à se prélasser dans la baignoire mise à leur disposition. Nara haussa les épaules, même si elle semblait elle aussi peu ravie à l'idée d'abandonner son pantalon de toile pour enfiler des vêtements plus adéquats, mais moins pratiques.

— Allez, arrête de râler. Tiens, ça t'ira très bien.

L'élémentaliste tendit une robe fluide, sans manches, dans un beau dégradé de bleus, à sa cadette qui la considéra avec un soupir. Au moins, elle resterait assez libre de ses mouvements pour pratiquer le bellicisme en cas de besoin, même si leur situation rendait cette opportunité improbable. Cela ne suffit pas à améliorer son humeur.

— Pourquoi est-ce que je dois venir, d'ailleurs ? lança-t-elle. C'est vrai, j'ai même pas seize ans, qu'est-ce que ça peut lui faire, à l'Impératrice, que je sois là ou non ?

— S'il te plaît, supplia Nara. Je me sentirais mieux si vous veniez tous...

Le ton implorant de son amie persuada Luan de cesser ses enfantillages. Elle paraissait accablée par une fatigue extrême, dormait de plus en plus difficilement, et la belliciste l'avait vue bouger les lèvres de façon frénétique parfois, comme si elle parlait seule. À cet instant précis, elle gardait pourtant un calme et une retenue étranges, comme si elle se contenait pour faire bonne impression. Luan hocha la tête et plaqua un sourire rassurant sur ses lèvres.

La peine l'assaillait depuis qu'ils avaient quitté Itera, et ses parents, qui avaient insisté pour qu'elle quitte le cercle pour s'éloigner du danger. La petite blonde avait toutefois hâte de rencontrer l'Impératrice, qui possédait une maîtrise terrifiante de l'astralisme, la spécialité cousine du bellicisme. Elle se réjouissait également à la perspective de voir Arlam et Talleck dans des tenues ridicules. Après avoir enfilé ses nouveaux habits, elle vint s'asseoir auprès de Nara pour l'aider à nouer sa chevelure.

— Je sais pas s'il faut que je cache mes cicatrices avec du maquillage. À ton avis ?

Surprise, Luan s'empourpra : elle croyait qu'il existait entre elles un accord tacite qui consistait à ignorer lesdites cicatrices. L'histoire qu'avait racontée Esra lors de leur visite à Aïcko témoignait de la douleur qu'avait connue Nara à cette époque-là. La belliciste pinça les lèvres et haussa les épaules, incapable de se forger une opinion sur la question.

— Au contraire, rétorqua alors Lucanos en sortant de la salle d'eau. Ça lui fera le plus grand bien de faire face aux Sorcières qui souffrent à cause de ces saletés d'humains.

À l'évidence, l'arcaniste souhaitait montrer qu'elle avait été défigurée pour choquer les nobles de la cour. Luan ignorait si cette attitude s'avérerait pertinente, mais elle devait reconnaître que ce visage odieusement marqué par l'acide lui faisait toujours froid dans le dos.

Les trois Sorcières rejoignirent dans la loge voisine leurs compagnons, eux aussi pomponnés en vue de la rencontre officielle. Talleck avait décidé de se faire le plus discret possible, même si sa haute stature risquait de rendre la chose ardue. Quant à Arlam et Esra, leurs costumes près du corps leur donnaient une démarche crispée qui fit éclater Luan de rire.

— S'il faut sacrifier à cette tradition à chaque fois qu'on entre dans ce palais, je ne veux plus jamais y remettre les pieds, pesta Arlam.

Javeet vint à leur rencontre peu après, dans un habit presque banal, presque intégralement noir, qui devait servir d'uniforme aux forces d'espionnage du cercle.

— Allons-y. Quelque chose me dit qu'on ne devrait pas la faire attendre plus longtemps.


***

L'Arbre de Feu - Livre 1 [V2]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant