Chapitre 15 : L'Instinct du Chasseur (partie 2)

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La neige.

Carsis la détestait au plus haut point. Le manque d'habitude, sans doute : Froidelune était souvent épargnée par de telles intempéries, et il s'aventurait rarement au nord de la région des rivières.

Au début de sa carrière, son premier cheval, un splendide Erroubéen, s'était brisé deux pattes en dérapant sur du verglas. Son cœur se serrait encore quand il songeait à sa lame s'enfonçant sous les côtes de l'animal, pour abréger ses souffrances.

Quelques années plus tard, une élémentaliste l'avait coincé sous une couche de glace. Il avait réussi à s'en libérer à temps, mais en avait conservé de graves séquelles qui l'avaient immobilisé des mois durant. Un véritable gâchis qui avait sali sa réputation. Enfin, l'hiver où il avait capturé Lucanos, il avait trébuché sur une pierre, cachée par la poudreuse, et avait manqué de la laisser filer.

Tout cela rendait cette saison pénible pour le Chasseur. Pourtant ce dernier avait choisi de contourner le Bois Refuge pour se rendre à Formont : s'il existait un cercle qui ne pourrait pas protéger Lucanos, il s'agissait d'Itera ; les Sorcières devaient voyager à travers la zone humaine de l'île avant de l'atteindre. Les chances d'attraper l'Odalisque dans les Marais ou le Bois Refuge relevaient presque du miracle, et avec la destruction du cercle d'Aïcko... Autant tenter sa chance ailleurs. Carsis perdait peu à peu l'envie d'obéir aux ordres de Hution Rerus : seule comptait pour lui la satisfaction de sa réputation et son ego. S'il ne trouvait pas Lucanos, il ferait fortune auprès d'autres Seigneurs.

Les landes s'étendaient devant le Chasseur. Il s'étira et posa ses mains sur la croupe de son cheval, comme pour lui intimer la prudence.

— Foutu pays, hein ? Vivement qu'on retourne chez nous.

Assis sur sa selle avec aplomb, il avisa au loin un autre cavalier qui marchait à côté de sa monture, un choix plus sûr mais plus lent. Sans doute ne venait-il pas d'aussi loin que Carsis. Un petit coup de talon incita son destrier à activer le pas en direction de cet inconnu. Quand il fut assez près, le Chasseur crut remarquer un uniforme de Prêtre-Chasseur : un épais manteau bleu-vert à la capuche ornée de fourrure ; un pantalon de toile noire ; l'écharpe caractéristique. Une touffe de cheveux dépassait de celle-ci. Quand le Prêtre se retourna enfin, alerté par le bruit des sabots sur la neige, Carsis s'exclama :

— Tiens, comme on se retrouve !

S'il fut surpris, le jeune homme le cacha bien : son visage semblait figé. Il s'agissait pourtant bien du Prêtre-Chasseur qu'il avait croisé des mois auparavant.

— Carsis Bramin, vous vous souvenez ?

— Oui.

— Je chasse toujours Lucanos des Marais... Et j'ai comme l'impression que cette petite teigne d'élémentaliste vous a filé entre les doigts !

Un léger grognement sortit de la gorge du Prêtre, aussi enchaîna-t-il, avant qu'il ne s'énerve :

— Nous sommes dans la même galère, il faut croire.

Carsis descendit de cheval et s'avança vers Dalen Tarah.

— On peut faire un bout de route ensemble, si vous voulez.

— Vous êtes très direct. Qui vous dit que votre présence est la bienvenue ?

Toujours cette méfiance mêlée de condescendance.

— D'où vous venez comme ça ? poursuivit Carsis, préférant ignorer sa question.

— Asnault. Et vous ?

Carsis n'aurait pas dû être surpris, mais il esquissa une moue appréciatrice : cet homme savait voyager seul sur de longues distances.

— Je suis parti de Froidelune il y a un bon moment, déjà. J'ai vadrouillé dans les plaines d'Asnault et la région des rivières pour retrouver Lucanos, mais...

L'Arbre de Feu - Livre 1 [V2]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant