Chapitre 5 : Le Regard de l'Autre (partie 3)

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Parmi les objets qui composaient la collection de Hution Rerus se trouvaient ceux qu'utilisaient les Sorcières pour voler. Tous différents et uniques, ils prenaient les formes les plus improbables et chaque habitant des cercles le choisissait à l'âge de quinze ans pour ne jamais en changer.

À nouveau vêtues comme à la veille de leur capture, et non comme de vulgaires concubines, les Sorcières revenaient peu à peu dans l'amphithéâtre en brandissant ces instruments divers et variés. Bien décidées à sortir de cette maison de malheur, elles prirent enfin la voie des airs. Rohe s'approcha de la dépouille de Mezina et l'étreignit avec tendresse.

— Je l'amènerai au Bois Refuge, elle reposera auprès de ses sœurs.

Incapable de prononcer le moindre mot, Nara serra la mâchoire. Elle aurait dû protester, garder près d'elle le corps de celle qui avait été sa plus chère amie durant ces dernières années, mais elle ne réussissait pas à bouger d'un cil.

La doyenne caressa la joue de la rouquine, puis ajouta :

— L'arbre sur sa tombe fleurira longtemps.

Rohe s'avança sur le large fragment d'écorce qui lui permettait de voler et la fit léviter légèrement vers le dôme brisé. Elle attendait que les autres Sorcières aient toutes pris la fuite avant de les suivre à son tour.

Lucanos virevoltait toujours parmi les flammes qu'elle créait, et tenait un bâton au bois foncé et noueux au bout duquel se trouvait un globe de verre à la teinte jaunâtre. De l'huile sans aucun doute, afin d'améliorer les performances de l'arcaniste. Dans son autre main, elle agrippait un grand éventail de plumes agrémenté d'un manche de bronze. Nara devina qu'il s'agissait de son artefact de vol, si incongru fût-il.

Les gardes semblaient désemparés face à cet ensemble de Sorcières assoiffées de liberté et de vengeance. Ils reculaient peu à peu devant leurs assauts, incapables d'endiguer leur colère.

Au milieu de ce désordre, la carte-fée d'Arlam grandit et il tendit la main vers Nara qui la saisit d'un geste hésitant. Quand la carte commença à se soulever, elle manqua de perdre l'équilibre, mais se redressa avec assurance. Arrivés au niveau du toit, elle observa le tableau qui se dressait sous leurs pieds : des soldats de Froidelune commençaient à débarquer, toutes armes dehors, mais déjà les Sorcières s'envolaient vers leurs terres sous leurs regards ahuris.

Luan les rejoignit sur le toit. Nara remarqua qu'elle se déplaçait sur deux larges disques, un artefact mobile et efficace pour une belliciste. Quand la petite Sorcière fronça les sourcils en sa direction, elle s'aperçut soudain que tous les visages s'étaient tournés vers elle, comme dans l'attente de quelques mots. L'Aïckoise déglutit avec peine avant de se lancer avec une hargne qu'elle n'avait pas soupçonnée :

— Hommes, si vous pensez que cette libération est unique ou exceptionnelle, laissez-moi vous le dire : vous vous trompez ! Elle sera bientôt suivie par une vague qui déferlera sur vous et vous engloutira jusqu'au dernier. Vous regretterez le mal que vous avez infligé au peuple des Sorcières !

La sensation de ridicule se noyait sous la colère ; Nara n'avait aucune idée de ce qu'elle racontait. Elle improvisait, crachait ces mots qui semblaient s'échapper de son esprit avant même qu'elle ne puisse y réfléchir.

— Mes sœurs, c'est la fin de la peur ! Mon nom est Nara Tialle, je viens du cercle du fleuve Aïcko, et je compte tout faire pour mettre fin aux souffrances que nous subissons depuis trop longtemps ! Pour toutes nos sœurs massacrées par les Hommes ! Faites passer le message, Hommes, Sorcières ! Cette époque s'achève maintenant !

Des exclamations de joie jaillirent au-dessus de la coupole brisée. Les Sorcières s'éloignèrent toutes, non sans exercer encore leur art guerrier à l'intention des hommes d'armes qui ripostaient tant bien que mal.

L'Arbre de Feu - Livre 1 [V2]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant