Chapitre 9 : En Territoire Ennemi (partie 4)

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Esra usa une fois de plus de ses éthers pour les dissimuler lors de leur fuite. La confusion totale qui régnait dans la cité leur permit d'en passer la porte sans problème. Soldats comme Prêtres ne semblaient pas habitués à faire face aux philtres des alchimistes. Les cristaux les avaient sans doute persuadés qu'aucune Sorcière n'oserait pénétrer ainsi dans leur ville.

— Après ce qu'il s'est passé aujourd'hui, ils vont augmenter la sécurité dans la région, soupira le nouveau venu.

Esra approuva à contrecœur : il n'avait guère apprécié ses méthodes, mais ces réactions se justifiaient par la situation désastreuse. Il le considéra du coin de l'œil. S'il ne possédait aucune trace d'accent, sa haute taille et sa peau noire ne trompaient personne quant à ses origines erroubéennes, qui passaient inaperçues dans une ville aussi grande et hétéroclite qu'Asnault. Des fossettes apparaissaient au coin de ses lèvres à chacun de ses sourires ; et il souriait beaucoup, souvent avec ironie.

— Vous ne devez franchement rien connaître aux Hommes pour agir comme vous l'avez fait, soupira-t-il. Notre bonne Impératrice sera furieuse quand elle apprendra à quel point vous avez compromis ses missions de renseignement.

Toujours sur les nerfs, Nara se contenta de rétorquer :

— Et si tu commençais par nous dire qui tu es avant de nous donner des leçons ?

Il gratta les tresses qui nouaient sa chevelure. Esra ne put réprimer un petit rire. Sa sœur parvenait souvent à mettre ses interlocuteurs mal à l'aise sans même s'en rendre compte, notamment par excès de familiarité.

— Je me nomme Javeet Hogon, belliciste de Pzerion. Ah, et je suis un espion au service de l'Impératrice Jahanna III.

La stupeur gomma toute autre expression de leurs visages. L'alchimiste croisa les regards effarés de Talleck et Nara, mais n'osa prononcer le moindre mot. Quelques mètres plus loin, Luan, les yeux dans le vague, ne paraissait pas concernée par leur conversation. Assis à ses côtés, son cousin avait passé sa main sur son épaule et tentait de la rassurer, alors que lui-même avait bien besoin de soutien. Enfin, Lucanos poussa un bâillement sonore et brisa le silence :

— Qu'est-ce que ça peut nous faire ?

— Vous gênez mon travail.

— Quel travail ? Je ne t'ai pas vu porter secours aux pauvres Sorcières qui ont été exterminées aujourd'hui.

— Ne vous faites pas plus stupide que vous ne l'êtes, vous savez très bien qu'il aurait été suicidaire de tenter quoi que ce soit. D'ailleurs, je ne vous ai pas remarquée sur l'estrade non plus.

Esra était médusé par le ton de la conversation. Déjà parce que Javeet Hogon parlait de façon détachée des exécutions de leurs consœurs, mais surtout à cause de la peine et de la colère dans la voix de Lucanos. La Sorcière paludonienne, d'habitude si froide, si désinvolte quand il s'agissait de vie ou de mort, semblait bouleversée par ce qu'elle avait vu sur la grand-place. Mal à l'aise, Talleck s'éloigna pour rejoindre Arlam et Luan.

— Au fait, reprit Javeet, plutôt malin, le gaz empoisonné.

L'alchimiste s'empourpra devant le compliment et les visages interrogateurs de ses compagnons se tourner vers lui.

— Co... comment ? bafouilla-t-il.

— Oui, vous avez intoxiqué les soldats à l'aide du fumigène. D'ailleurs, vous avez bien fait de conseiller à votre ami humain de se couvrir le nez et la bouche, sans quoi il serait sans doute en piteux état à l'heure où nous parlons.

Esra blêmit. Cet homme devenait de plus en plus dangereux à ses yeux. Il avait espéré cacher aux autres la présence de toxines dans sa bombe-éther ; lui-même trouvait la pratique pernicieuse. À sa grande surprise, Nara afficha un air approbateur, sans parler de Lucanos qui commença à l'applaudir en silence.

L'Arbre de Feu - Livre 1 [V2]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant