Chapitre 1 : Trois Sorcières (partie 2)

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Plusieurs semaines s'étaient écoulées depuis leur rencontre et le mois de sluncet avait chassé celui d'ovocet. La fin de l'été approchait, mais les températures restaient assez chaudes dans cette partie du continent.

Accroupi au bord de la rivière, Arlam retroussait les manches de sa chemise afin de remplir sa gourde. Zylph, les écailles d'un gris mat, se baladait sur les roches humides recouvertes de mousse.

— Si on remonte la Plaste, on ira trop loin à l'ouest, s'exclama Nara. Il vaut mieux rester sur le Seïcko.

— Ça fait déjà une semaine qu'on le suit, rétorqua Mezina.

— Je sais, mais je préfère ne pas m'éloigner des rivières...

Arlam se contenta d'acquiescer, incapable de dire si elles se trompaient ou non. Nara marchait dans le cours d'eau, son pantalon de toile relevé au-dessus des genoux, dans l'espoir de pêcher quelques poissons qui auraient le malheur de croiser son chemin.

— Comprenez-vous que je ne connais rien de la géographie de cette région ?

— Pour un jeune érudit, tu n'es pas d'une grande aide, pouffa la belliciste.

D'un mouvement sec du poignet, Nara fit jaillir de l'eau une truite de belle taille et l'attrapa au vol. Le poisson frétilla un instant dans sa main avant qu'elle ne l'achève.

— Je pense que ça ira pour ce soir, lança l'élémentaliste d'un air jovial.

— Es-tu bien certaine de vouloir t'aventurer plus au sud ? la coupa brusquement Arlam.

— Pourquoi tu parles comme ça ?

Les deux Sorcières se contemplèrent un instant, perplexes. Assise un peu plus loin avec les pieds dans le ruisseau, Mezina adoptait une position d'arbitre. Arlam réalisa tout de suite que Nara tentait d'éviter la question qu'il venait de lui poser, mais il répondit tout de même :

— Que veux-tu dire ?

— Tu parles comme dans un livre, c'est assez... bizarre.

— C'est un truc d'illusionniste, intervint Mezina. Ne cherche pas à comprendre.

L'élémentaliste éleva le pied afin de marcher sur l'eau et les rejoignit sur la rive. Même si elle professait que cela n'avait rien de compliqué, Arlam trouvait ces tours déroutants.

— J'aime les livres et je ne vois pas en quoi ce serait une mauvaise chose de s'exprimer avec de belles phrases. Vous autres, Aïckois, avez un problème avec les subtilités langagières. On m'a toujours raconté que vous n'aviez aucun sens des conventions et que vos bonnes manières laissaient à désirer. D'ailleurs, dès notre rencontre, tu m'as tutoyé. Seule la courtoisie m'a poussé à en faire de même.

Nara leva un sourcil interrogateur, vexée. Arlam voulut s'empresser d'ajouter quelque chose pour nuancer ses propos, mais elle le coupa dans son élan :

— On est un petit cercle. Tout le monde se connaît. La seule personne qui mérite d'être vouvoyée, c'est notre Reine. Mais tu as raison, on est des barbares, comparés aux Sylvestres !

— Merci de ne pas inclure les bellicistes dans le lot ! lança Mezina.

— Oui, mais toi...

— Non, crois-moi, les Sorcières du Bois Refuge ont peut-être toutes la même citoyenneté, mais les cultures des bellicistes et des illusionnistes sont très différentes, voire opposées sur certains aspects. Donc tu aurais dû dire « on est des barbares comparés aux illusionnistes ».

Arlam se demanda un instant si Mezina ne cherchait pas à aggraver encore son cas, mais le large sourire qui se tirait entre ses taches de rousseur trahissait plutôt de l'amusement. Il s'éclaircit la gorge et rompit ce silence un peu gêné :

L'Arbre de Feu - Livre 1 [V2]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant