Chapitre 18 : Parmi les Reines, un Roi (partie 2)

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Assise au bord de la mare au centre du jardin d'Olra, Nara profitait du calme nocturne. La nuit avait étalé son manteau d'encre et la lune, timide, se cachait derrière les nuages. La maison de son aîné pouvait abriter une dizaine de personnes, du moment qu'elles acceptaient de se tasser un peu. Peut-être se sentait-il enfin finalement coupable et tentait-il de se racheter ?

— Tu as une de ces têtes, tu fais peur à voir.

La voix d'Olra fit sursauter l'élémentaliste. Elle était persuadée que toute la maisonnée dormait. Sa tête bourdonnait en continu depuis plusieurs jours, elle pensait que le silence iteran pourrait arranger cela, à tort. Son frère vint se placer auprès d'elle.

— Merci.

— Ces cicatrices, c'est... ?

— Un poignard trempé dans l'acide. Ça date du jour où Papa est mort.

— Je vois.

Leurs caractères, assez semblables, leur avaient causé bien des disputes durant l'enfance, mais leur permettaient aussi de s'entendre là où Esra ne le pouvait. Nara et Olra préféraient aller droit au but plutôt que d'arrondir les angles.

— Maman a survécu à l'attaque d'Aïcko, mais elle va pas très bien.

— J'ai cru comprendre. Et maintenant, elle est où ?

— Au Bois Refuge. On a trouvé un alchimiste pour s'occuper d'elle après la destruction du cercle. Si toute cette histoire s'arrange, on l'emmènera à Erroubo, je suppose.

— Aïcko... Ça a dû être horrible...

Un bref silence s'installa, à peine perturbé par les bruits des insectes qui s'éveillaient une fois le soleil couché. Nara ferma les paupières, assez longtemps pour revoir les images atroces de l'attaque de son cercle : les flammes dans les ténèbres, les étincelles qui volaient, les grondements assourdissants. Et Mezina qui la fixait, immobile sur le fleuve.

— Tant que j'y pense... déclara soudain Olra. C'est arrivé assez récemment, alors vous ne le savez peut-être pas, mais la Reine d'Itera est morte.

Visiblement peu bouleversé par cette nouvelle, il poursuivit :

— De vieillesse. En fait, c'est surprenant qu'elle ait vécu aussi longtemps avec une vie aussi stressante que celle qu'on mène ici.

— Les combats n'ont pas cessé ?

— Pendant l'hiver, si, car la montagne est impraticable pour les Hommes. Mais les beaux jours reviennent, et eux avec. Tu as pu le constater, je suppose. Bref, le petit souci qui va se présenter, c'est que l'héritière de la Reine est un héritier.

La fatigue de Nara l'empêchait de recevoir cette information avec toute la lucidité nécessaire, aussi préféra-t-elle la laisser pour plus tard. Elle décida plutôt de lâcher la bombe qu'Olra attendait avec certitude :

— Alors, qu'est-ce que t'as fait pendant tout ce temps ?

L'empathiste pinça les lèvres tout en souriant ; son visage se déforma en une grimace très familière à la maison Tialle.

— J'ai pas mal voyagé. Erroubo et Pzerion, surtout. Je suis ici depuis trois ans, histoire de me perfectionner dans l'empathie. Tu verrais ce que certaines Sorcières sont capables de faire, c'est incroyable.

Nara lut sur ses traits l'excitation qu'il ressentait en observant de tels prodiges, mais elle s'évanouit soudainement.

— Je sais qu'Esra et toi, vous croyez que je ne suis pas revenu à Aïcko par égoïsme. Mais c'est un peu plus compliqué...

L'Arbre de Feu - Livre 1 [V2]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant