Chapitre 20 : Dans le Sang (partie 3)

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Le groupe avait décidé de s'arrêter un peu plus au nord, assez loin de la route pour ne pas attirer l'attention. Malgré l'ambiance morose, le camp avait été monté de façon efficace et les conversations se déroulaient avec naturel : la meilleure route à emprunter, la fin des intempéries au coeur du printemps, le prochain trajet à dos de tortue. Seule Nara demeurait en retrait, silencieuse. Assise sur sa couche, elle caressait son artefact de vol. Ses doigts effleuraient chaque détail, chaque petite fissure. La nuit commençait à tomber, aussi peinait-elle à distinguer les motifs incrustés.

— L'est.

La voix de Mezina souffla à son oreille. Ses doigts se mêlèrent au sien sur le bâton. Cette sensation... Elle ne pouvait être réelle. Elle l'était. En voulant se tourner vers son ancienne amie, elle ne trouva que du vide.

— L'est ? murmura-t-elle. L'est...

— Nara ?

Luan s'était approchée pour lui donner le bol dans lequel Esra avait servi le repas. Elle ne parvenait pas à masquer son inquiétude, mais Nara se contenta de lui sourire en saisissant le récipient.

— Merci.

Elle le posa sur le sol sans même prendre une bouchée. Elle décida plutôt de se coucher, fatiguée par le voyage. Les chuchottements se poursuivirent autour d'elle, puis s'abîmèrent dans l'obscurité.

Sans que le moindre rêve n'intervienne durant la nuit, elle finit par se réveiller à cause des piaillements des oiseaux les plus matinaux. Le reste du groupe dormait encore, et même Lucanos, chargée du dernier tour de garde, s'était assoupie. L'Aïckoise se leva.

Sa place n'était pas ici, elle pouvait le sentir dans ses os.

Avec discrétion, Nara prit ses affaires et les remballa avant de partir sur son artefact. Elle devait aller à l'est.


***


Les jambes de Dalen pendaient dans le vide. Assis sur le rebord du quai, il tripotait une munition de cristal entre ses doigts, et attendait son bateau en s'exposant au soleil printanier. Seules les jérémiades de Carsis l'empêchaient de profiter tout à fait de la situation.

— Tu devrais rester ici, insistait-il. Elle finira bien par revenir sur l'île.

— Je n'ai pas vraiment le choix, je te ferais remarquer.

Le Chasseur s'accroupit à côté de lui, ses sourcils broussailleux froncés à l'extrême. Dalen ne s'y trompait pas : s'il tenait tant à ne pas le voir repartir sur le continent, c'était parce que son ego refusait d'admettre qu'il s'était sans doute trompé en imaginant que les Sorcières passerait par Itera avant de rejoindre le Bois Refuge, mais aussi parce que ses chances de capturer Lucanos diminueraient sans son aide.

Les deux compères s'étaient réfugiés à Formont, où le Prêtre-Chasseur avait fait un rapport catastrophique à ses supérieurs. Ces derniers lui avaient ordonné de retourner à Asnault, la ville dont il dépendait. Il prendrait son temps pour explorer les environs du Bois Refuge, mais finirait par obéir. Où pourrait-il se rendre d'autre, de toute façon ?

Alors il avait rejoint un petit port de la côte est, Vettac. Il préférait éviter les villes plus peuplées, où il risquait de croiser d'autres Prêtres. La plupart de ses confrères ne lui adressaient pas la parole, mais le raillaient dans son dos. Irrité, il espérait échapper à cette attitude dans la capitale, auprès des quelques amis qu'il avait.

— Je pensais que tu voulais persévérer, prouver qu'ils avaient tort de te prendre pour un incapable. Pour un faible.

— Ce n'est pas une question de force, mais de malchance, rétorqua Dalen. Si ces abrutis de villageois ne m'avaient pas mis dans leur cage, Nara Tialle serait déjà avec les Prêtres-Inquisiteurs.

L'Arbre de Feu - Livre 1 [V2]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant