Chapitre 16 : Croisements (partie 2)

93 21 10
                                    

Dalen et Carsis avaient profité du retour des rares beaux jours pour voyager jusqu'à des heures avancées. Leurs chevaux paraissaient avoir regagné en énergie depuis qu'ils avaient atteint l'île. Le Prêtre s'était délesté de son uniforme pour des vêtements plus discrets. Il comptait sur l'effet de surprise et tâchait d'anticiper les trajectoires possibles pour leurs cibles : toute Sorcière voulant se rendre à Itera passerait sans doute par l'un des villages proches de la chaîne de montagnes et de la mer, avant de contourner les sommets. Du moins, espérait-il qu'elles suivraient cette logique. Ils avaient toutefois décidé de se rendre à Formont avant la fin du mois.

— On fait vraiment un métier ingrat, tu sais, commenta Carsis.

— Tu n'as pas l'air de t'en plaindre tant que ça. S'il te déplaisait tant, tu aurais changé de voie depuis longtemps.

— C'est parce que j'ai bonne réputation. Et d'habitude, il n'y a pas autant de contrainte : je tombe sur une Sorcière qui a eu la mauvaise idée de s'éloigner de son cercle, je la cueille avant qu'elle n'ait le temps de réagir et je suis payé grassement. Mais toi... c'est dans ta nature. Personne n'éprouve de reconnaissance à ton égard malgré tous les risques que tu prends pour protéger les citoyens de Pressiac. Un métier ingrat.

Dalen ressentait toujours une certaine gêne quand des Hommes éprouvaient de la sympathie pour lui. Aucun d'eux ne pouvait percevoir à quel point les Prêtres et les Hommes différaient. Avec les Sorcières, c'était une autre histoire.

— Je suis les ordres. Je n'ai pas à me poser de questions.

— Mais tu t'en poses.

Carsis prenait un malin plaisir à mettre le doigt sur les doutes du jeune homme. Dalen se demandait si, au cours de ses Chasses, son aîné n'avait pas approché ses proies de trop près. La plupart des Hommes se contentaient de haïr leurs ennemies, mais lui avait l'air de vouloir les comprendre. Et de considérer Dalen comme un prisme à travers lequel les étudier.

— Comme ce que nous a raconté cette Morinn, continua-t-il. Que vous autres ramenez de plus en plus de Sorcières vivantes...

— Je n'ai pas à juger des actions des Hauts-Prêtres. Ils m'ont recueilli et élevé alors que le reste du monde m'aurait sans doute broyé sans remord.

Carsis n'insista pas. Dalen ne pouvait lui en vouloir : leurs univers, si semblables et pourtant incomparables, se trouvaient rarement réunis. L'envie d'en apprendre plus sur l'autre les démangeait tous deux. Malgré l'image de grande fratrie que certains souhaitaient donner, les Prêtres avaient en réalité du mal à créer des liens. Dalen mettait cela sur le compte d'un dégoût respectif. Peut-être était-il le seul à ne pas réussir à se faire d'amis parmi les siens. Ses partenaires de Chasse, quelle que fût leur valeur, ne lui manquaient pas. La compagnie de Carsis dégageait une certaine fraîcheur, aussi étrange que ce soit au vu de leur différence d'âge.


***


Mécontente, Lucanos croisa les bras devant sa poitrine.

— J'aime pas cette idée, lâcha-t-elle.

Nara à ses côtés, elle fixait Talleck et Javeet, dont l'aplomb ne faiblissait pas, malgré les remontrances de leurs camarades.

— Nous n'avons plus de vivres et nous n'atteindrons pas Itera avant plusieurs jours, déclara l'espion. Et traverser la montagne sera difficile... Il faut que l'un de nous prenne Talleck sur son artefact et Luan se fatigue vite car le sien manque de stabilité. Ajoutez le froid et je peux vous assurer qu'aucun de nous ne sera capable de trouver de la nourriture en altitude.

L'Arbre de Feu - Livre 1 [V2]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant